2- WELLERS : déporté à Auschwitz
Au retour de sa déportation, Wellers s’exprimera en ces
termes :
" J’ai été arrêté le 12 décembre 1941 à
Paris, mais j’ai été déporté à Auschwitz seulement deux ans et demi plus
tard. Pendant toute cette période, j’ai vécu dans les camps français,
principalement à Drancy, et j’ai assisté à plus de soixante déportations.
Parmi mes camarades, j’ai eu beaucoup d’amis français et étrangers, vieux
et jeunes, riches et pauvres, très cultivés, mais aussi d’autres sans grande
instruction. Il y avait parmi eux des personnalités d’une intelligence et d’une
lucidité hors de pair
Grâce à mes fonctions de chef du pitoyable service d’hygiène,
de Drancy, j’avais accès à tous les locaux y compris les chambrées des
partants où les futurs déportés restaient isolés 24 heures, après leur
fouille et avant leur départ. J’ai été moi-même deux fois enfermé dans
ces chambrées, car désigné pour faire partie des convois de déportés :
la première fois c’était un faux départ, la seconde fois ce fut le bon.
De plus, j’ai disposé d’une filière sûre de
correspondance clandestine avec ma femme que j’ai pu ainsi charger d’innombrables
démarches, en liberté, au bénéfice d’un nombre considérable d’internés
de toute condition et de toute origine. Tout cela me laisse penser que j’ai
été un des mieux renseigné sur l’état d’esprit de plusieurs dizaines de
milliers d’internés, futurs déportés.
En sautant sur le quai (de Birkenau), j’ai aperçu le haut
des cheminées que j’ai cru être celle de quelque usine… et certains de mes
camarades pensèrent plutôt à des fours de boulangerie. C’était en
réalité les cheminées des fours crématoires…
Je peux affirmer d’une façon catégorique que l’on n’
avait aucun soupçon concernant l’assassinat systématique auquel en réalité
étaient voués les Juifs au bout du voyage de déportation ".
Il y a témoignage et témoignage. Celui de Wellers doit
être retenu comme significatif pour trois raisons :
1- Wellers est resté à Drancy deux ans et demi, il a vu
partir 60 convois de déportés : jamais un soupçon sur la solution finale
n’est venu à l’esprit, ni de lui-même, de ceux qui attendaient, ni de ceux
qui partaient vers Auschwitz.
2- Wellers disposait d’une filière clandestine de
correspondance avec l’extérieur : il n’a jamais sonné le tocsin vis à
vis de ses coreligionnaires.
3- Beaucoup d’intellectuels brillants figuraient parmi les
détenus : aucun n’a imaginé que les déportations pouvaient aboutir à
un génocide.
© Hubert de Beaufort, Paris 2001