30 septembre 2000 : la direction de la prison a transmis
quelques jours plus tôt une autorisation de visite. Elle est prévue pour 15
heures précises, mais pour ne pas risquer un retard, Patricia, (la petite fille
de Maurice Papon), fixe le rendez vous une demi-heure à l’avance. La Santé,
massivement implantée près de la place Denfert Rochereau, se fait remarquer
par son mur d’enceinte de six mètres de haut qui vous interpelle d’emblée.
Au centre d’un des quatre murs, vous apercevez une cage de verre qui dépasse
à l’extérieur de la rue : sur le bord de cet observatoire occupé par deux
gardiens, on vous indique une ouverture par laquelle vous introduisez une carte
d’identité. A droite de l’observatoire, vous butez sur une petite porte en
acier et à gauche vous remarquez un grand portail par laquelle pénètrent les
véhicules de service. Les deux entrées, sans aucune aspérité, s’ouvrent et
se ferment dans un grand bruit de verrous électriques.
Les visiteurs, qui attendent dehors, ne disposent d’aucun
abri : l’ambiance vous oppresse, même dans la rue. Durant l’attente,
vous percevez physiquement, qu’à l’intérieur, se trouve enfermé le plus
vieux prisonnier du monde : un homme de 90 ans, innocent et condamné pour
des motifs politiques.
A 15 heure, la petite porte s’entrouvre et une voix vous
demande d’entrer. Entrée sous haute sécurité avec portiques détecteurs
interdisant la moindre pièce métallique : cela ferait hurler les
portiques. Durant la fouille électronique, les gardiens de la cage de verre
dont vous découvrez maintenant la partie intérieure, vous observent derrière
leur vitre blindée, tandis que vous obtempérez à leurs instructions.
Après que les affaires personnelles aient été placées
dans un coffre, vous attendez derrière une grille qu’un gardien vous
accompagne. Vous traversez alors une cour réservée au parking des voitures,
puis vous vous engagez dans un long couloir, dit de sécurité, qui débouche
sur un hall circulaire avec tour de contrôle. Le hall donne sur une enfilade de
cellules grillagées qui se font face. Vous n’êtes même plus dans une
prison, mais dans un véritable univers concentrationnaire, fait de cellules de
fer et de béton, où vivent des hommes…
Vous entrez ensuite dans un nouveau couloir donnant sur trois
portes vitrées : les parloirs. Hubert de Beaufort a voulu connaître la
définition donné par le Larousse. " Parloir : salle où l’on
reçoit les visiteurs de certains établissements ". La
" salle " en question mesure deux mètres de long sur 0,80
mètre de large, ce qui donne une superficie de 1,8 mètre carré.
Nous nous asseyons avec Patricia non sans difficulté, car il
faut arriver à intercaler ses jambes entre les pieds des chaises et le mur. Une
fois assis, la surface disponible pour le prisonnier est nettement inférieure
à un mètre carré : nous nous reculons pour que Maurice Papon dispose d’un
peu plus d’espace. Notre hôte n’est pas encore là et il sera introduit par
une porte opposée à la notre, (déjà refermée et verrouillée). Patricia me
signale que le parloir a été repeint, car l’article du Monde consacré au
livre du docteur Vasseur sur la Santé a conduit l’administration
pénitentiaire à rendre les parties visibles des bâtiments présentables.
Brusquement Maurice Papon est devant nous : il tousse,
semble fatigué, mais conserve une lucidité et une énergie intacte. Nous
sommes maintenant tous les trois assis et disposons de 40 minutes pour débattre
du livre blanc et des différentes procédures en cours. Il faut être précis,
rapide et tout mémoriser, puisque nous n’avons pas le droit de prendre des
notes.
La quarantième minute arrive très vite avec l’ouverture
impérative de la porte extérieure. La visite est finie, et le prisonnier nous
quitte avec son gardien, aussi silencieusement qu’il est entré : notre
verrou sera débloqué dix minutes plus tard. Nous reprenons alors le chemin
inverse, avec les mêmes haltes devant les multiples portes. Une dernière
vision aux cellules, avant de retrouver les gardiens de l’entrée qui nous
rendent nos affaires et nos papiers. Un ultime claquement de verrou et nous
voici dehors...
Certains disent que nous sommes entrés dans le XXIème
siècle, c’est vrai. D’autres affirment que nous vivons dans un Etat de
Droit : c’est faux, il n’en subsiste que la forme et l’apparat, avec
des juges souvent de bonne volonté. D’autres encore estiment sincèrement que
la France est un modèle de démocratie : c’est encore plus faux et il
faut espérer que la Cour Européenne de Strasbourg aura le courage de le faire
savoir.
Reste maintenant à poser la question qui interpelle déjà
les personnalités et les experts auxquels a été soumis le livre blanc :
pourquoi ce procès ? Lorsque les banques suisses ont accepté de verser
1,2 milliard de$, trois mois après la condamnation de Maurice Papon, on pouvait
encore s’interroger, mais depuis qu’une " class action "
est engagée depuis les USA à l’encontre de la SNCF, la réponse est donnée
par Hariet Teman, l’avocat de Jean Jacques Fraenkel, fils de déporté :
" La SNCF a gagné de l’argent sur les convois de
la mort. Est-ce donc si étonnant de demander réparation ? ".
Comment faire exécuter le jugement en France demande alors
la journaliste Alice Sedar à Hariet Teman ?
" En mettant à contribution les filiales de la
SNCF aux Etats Unis, qui vendent pour des centaines de millions de dollars des
Europass aux touristes américains ".