La nouvelle barbarie humanitaire veut remplacer le Droit par
l’émotivité. Basée sur l’émotionnel, elle récuse les critères reconnus
du Droit et veut rendre la justice, soit sur des critères se voulant moraux,
soit sur des critères passionnels en appelant à la vindicte populaire, par l’intermédiaire
des médias. Dans le cas de la Shoah, il s’agit de la placer comme pilier de
la deuxième guerre mondiale et de rechercher pour cela des boucs émissaires
qui facilitent l’écriture d’une " nouvelle
histoire ".
Pour atteindre ses objectifs, ce néo-totalitarisme doit
simultanément miner les critères du Droit traditionnel et s’attaquer à
quelques symboles : au symbole nazi bien sûr comme Barbie, mais aussi à d’autres
symboles considérés comme coupables parce qu’ils étaient présents ou
spectateurs impuissants. Ce seront les fonctionnaires de Vichy symbolisés par
Papon, la Suisse et ses banques, le catholicisme avec Pie XII lui-même. Demain
seront peut-être visés les grands hommes de la deuxième guerre
mondiale : Roosevelt, Churchill, de Gaulle et la Résistance…
Pour juger et condamner Maurice Papon, il a fallu constamment
pervertir les mécanismes judiciaires puisque jamais les acteurs responsables
des années de guerre, comme de Gaulle ou Mitterrand n’auraient admis un tel
procès. Pour obtenir une condamnation, la Cour d’Assises a du accepter des
violations constantes du Droit. Rappelons celles qui ont entaché gravement le
procès de Bordeaux, au simple niveau du respect des procédures.
1.- Les témoignages. L’article 331 du code de
procédure pénale précise de manière explicite la forme et les conditions des
témoignages. Obligation est faite au témoin, dans ce cadre précis, de dire
toute la vérité. Dans ces conditions, comment la Cour d’Assises a-t-elle pu
admettre d’entendre en qualité de témoins, plusieurs historiens, parmi
lesquels l’Américain Robert Paxton ? La vérité de l’historien ne peut
être retenue comme une vérité de témoin, car elle n’est pas la
conséquence du constat direct des événements, mais le fruit d’une analyse a
posteriori et obtenue souvent à partir de témoignages indirects : une vérité
à géométrie variable non exempte de prises de positions partisanes. Il est
anormal que la Cour ait autorisé l’audition de tels témoins. Est ce pour
compenser l’absence des témoins de l’époque, presque tous disparus ?
2.- Le code de procédure pénale. Il impose à la Cour d’Assises
de ne connaître que les faits retenus par l’arrêt de mise en accusation. Une
règle de bon sens refusant que l’accusation mette en avant de nouvelles
charges durant le procès, jusqu’alors ignorées de l’accusé. Règle non
respectée par l’Avocat général à Bordeaux, qui interrogea longuement
Maurice Papon sur les convois de Novembre 1942 à Novembre 1943, en lui imputant
une responsabilité dans leur organisation. C’était une attitude nouvelle du
Parquet que d’analyser ces convois... malgré 15 ans d’instruction. Attitude
avalisée par le Président qui autorisa ainsi une violation du droit. Il sera
objecté que tout était dans le dossier. Or, justement il manquait des pièces
essentielles.
3. L’instruction partielle et partiale. Les
débats du procès, durant six mois, et aujourd’hui la
" contre-enquête ", ont démontré à quel point l’instruction
fut à la fois partielle et partiale. En particulier, la Défense avait demandé
que l’intégralité des archives de l’Intendant de Police soit versée aux
débats, car les tris effectués durant l’instruction ne permettaient pas d’appréhender
la réalité des pouvoirs exercés par la Préfecture et par Maurice Papon.
Lorsque l’on sait que l’instruction n’a pas jugé utile en 15 ans d’auditionner
les trois hauts responsables de l’époque qu’étaient Knochen, Dohse et
Landes, la demande de la Défense était pour le moins justifiée. Cette demande
fut pourtant rejetée dans un arrêt incident de 5 mars 1998, ce qui n’empêcha
pas le Ministère Public d’interroger longuement M. Papon sur la période
Novembre1942-Novembre 1943 pour combler les vides d’un dossier que l’accusation
jugeait elle-même insuffisant.
En refusant à la Défense l’accès à des pièces
essentielles, tout en laissant le Parquet interroger le prévenu sur des faits
dont la Cour n’était pas saisie, celle-ci violait les principes d’égalité
des armes entre la défense et l’accusation. L’argument est imparable… en
principe.
4. La manœuvre de déstabilisation du Président,
entreprise par Serge et Arno Klarsfeld. La contre-enquête l’a étudiée,
mais il est clair que cette mise en cause publique et médiatique, avec un
chantage officiel, dont Arno Klarsfeld se fait une gloire, entraînerait, à elle
seule, la cassation du jugement.
5. Les caractéristiques et conditions du crime contre l’humanité.
Maurice Papon était poursuivi pour complicité de crimes contre l’humanité,
au regard de trois séries de questions. La première série concernait la
complicité d’arrestations arbitraires, la seconde la complicité de
séquestrations arbitraires et la dernière série la complicité d’assassinats
: les trois questions se retrouvaient pour chaque victime nommément désignée.
Sur chaque série de questions, et pour chaque victime, était posée en termes
identiques, une question posant la condition de l’existence ou non du crime
contre l’humanité:
Maître Varaut demandait le 31 mars 1998, que soit posée à
la Cour la question supplémentaire suivante :
" L’accusé avait il connaissance du plan
concerté d’extermination des Juifs par les Nazis et a-t-il eu le mobile et la
volonté d’y participer ? ".
En prenant cette
décision, la Cour considérait que les trois séries de questions
(arrestations, séquestrations, assassinats) posées aux jurés comportaient
désormais la question implicite, relative à la connaissance par l’accusé de
la solution finale.
Pour déclarer l’accusé coupable de crimes contre l’humanité,
le jury a répondu oui à plusieurs questions sur les responsabilités d’arrestations
et de séquestrations, tandis qu’il répondait non à toutes les questions sur
la complicité d’assassinats.
La Cour a, tout à la fois, affirmé que Maurice Papon a
voulu l’arrestation et la séquestration des victimes dans le cadre de la
solution finale dont il connaissait l’existence, mais qu’il n’a jamais
voulu leur mort, dans le cadre de cette même solution finale qu’il ne
connaissait pas.
L’affirmation selon laquelle Maurice Papon n’a pas voulu
la mort des victimes, (entraînant son acquittement du chef d’assassinat),
suppose qu’il ne connaissait pas la solution finale, (que personne ne
soupçonnait), alors que la solution finale impliquait automatiquement l’assassinat
des victimes.
En résumé, la Cour affirme une chose et son contraire,
puisque le même acte est indivisible : la complicité d’assassinat est
indissociable des actes d’arrestations et de séquestrations. Maurice Papon
étant censé à la fois connaître et de ne pas connaître la solution finale,
un arrêt de condamnation aux motifs contradictoires ne peut être normalement
admis par la Cour de Cassation.
Le raisonnement est imparable, mais il ne faut pas oublier
que la Cour a défini elle même un concept de complicité matérielle en 1997,
afin de pouvoir faire juger Maurice Papon. Il lui était bien difficile de
défaire d’une main ce qu’elle avait tissé de l’autre. C’était une
jurisprudence faite sur mesure qui permettrait de condamner la Croix Rouge ou la
SNCF….
Où est la Justice dans cette affaire ?
Vraisemblablement plus en France. Aujourd’hui, il ne faut compter que sur un
jugement de la Cour Européenne des Droits de l’Homme. La spirale des entorses
au Droit qui se déroule depuis 17 ans, afin d’arriver à juger puis à
condamner Maurice Papon, a trop perverti les rouages judiciaires pour espérer
un sursaut de dernière minute. Par contre, une juridiction extérieure ne peut
qu’être scandalisé par la mise à mal de l’Etat de Droit, sous la pression
de certains lobbies.
Comment, face aux témoins et aux personnalités qui ont
participé à la Libération du pays, une histoire aussi tronquée peut-elle s’affirmer ?
Les vrais accusateurs ne représentent qu’une minorité, mais une minorité
active et déterminée qui exigent une condamnation expiatoire.
La réhabilitation devrait s’imposer si, curieusement, le
procès ne se présentait pas comme une introduction à une stratégie d’enveloppement
et à une énorme affaire d’argent. Quelques semaines après le verdict
condamnant Papon, les banques suisses acceptaient en effet de verser aux
organisations juives américaines plus d’un milliard de dollars et les avocats
américains réclament un milliard de francs en honoraires !
Ce n’est peut être qu’un début. Le Monde du 30
octobre 1998 annonçait que le Centre Simon-Wiesenthal avait initié une action
judiciaire à l’encontre de huit banques françaises. Le tribunal de New York
s’est prononcé le 15 décembre et Simon Samuels (directeur du Centre pour l’Europe),
conteste déjà le comité nommé par le gouvernement et présidé par Jean
Mattéoli. Les parties civiles américaines cherchent-elles maintenant des
relais français ?
Il faut bien se poser des questions. Jusqu’ici,
" la Shoah mémoire " ne suscitait que le respect et l’adhésion,
mais avec l’affaire Papon, le scénario devient différent : on s’aperçoit
que les accusateurs voulaient la condamnation d’un fonctionnaire, même
innocent, afin d’officialiser la responsabilité de l’Etat Français. La
seule vraie faute de Papon, c’est d’être toujours vivant.
En faisant condamner Maurice Papon, les organisations juives
américaines ne voulaient-elles pas faire comprendre aux banques suisses que si
elles n’acceptaient pas de payer, on les poursuivrait en justice ? Le
raisonnement est à la fois induit et clair : puisque nous sommes capables de
faire condamner un sous préfet français innocent, nous sommes en mesure de
faire condamner un système bancaire et pourquoi pas la Suisse elle même.
La Shoah " mémoire respectée " se
serait-elle transformée en " Shoah totalitaire " puis
en " Shoah business " ?
Assistons nous à la nouvelle étape d’un plan concerté
qui aurait été décidé à la fin des années 1980 ? Une certitude :
un nouveau degré d’escalade est franchi avec la mise en cause du Pape Pie XII
par John Cornwell. Son ouvrage qui paraît simultanément aux USA, en Grande
Bretagne, en Allemagne et en France veut frapper fort avec un plan médiatique
qui s’insère lui- aussi dans une stratégie visant cette fois-ci, à mettre
en cause l’Eglise. Le titre qui se veut provocateur annonce sans détour son
objectif :
"Le Pape et Hitler : l’histoire secrète de
Pie XII ".
Cornwell explique qu’il avait commencé ses recherches dans
le but de blanchir Pie XII, une patte de velours qui lui a permis de se faire
ouvrir certaines archives du Vatican. Le bon apôtre se révèle vite horrifié,
en état de choc et n’hésite plus à déclarer :
" En suivant la carrière de Pacelli depuis le
début du siècle, ma recherche retraçait l’histoire d’une lutte pour le
pouvoir sans précédent qui, en 1933, avait conduit l’Eglise catholique à se
rendre complice des forces les plus sinistres de son temps…. Dès le début de
sa carrière, Pacelli avait fait montre d’une indéniable antipathie à l’égard
des Juifs ".
Et comme il faut enfoncer le clou avec un marteau pilon, pour
faire plus vrai, Cornwell estime que le futur Pape a préparé le terrain au
nazisme :
" Sa diplomatie, dans l’Allemagne des années
1930, avait consisté à démanteler, voire à trahir les associations
politiques catholiques qui auraient pu défier le régime hitlérien et faire
échec à la " solution finale ".
La déduction devient évidente : Pacelli a facilité la
préparation du génocide des Juifs :
"Il fit d’ailleurs montre d’une secrète antipathie
à la fois religieuse et raciste envers les Juifs, perceptible chez lui dès l’âge
de 43 ans, alors qu’il était à Munich ".
Le fait que le Pape ait dénoncé en ces termes voilés les
déportations, à l’occasion du Noël 1942, n’est pas jugé suffisant par
Cornwell :
" Les centaines de milliers de personnes qui,
sans aucune faute de leur part, parfois seulement en raison de leur nationalité
ou de leur race, sont vouées à la mort ou à la disparition ".
L’imprécateur aurait voulu entendre prononcer par le Pape
les mots " nazis " et " Allemagne
nazie ", mais ne s’interroge pas sur les réactions d’Hitler
devant une telle provocation !
La conclusion de Cornwell ne surprendra donc pas :
" Il, (le Pape), était un pion dans le jeu d’Hitler.
Il fut le Pape de Hitler ".
Il y a un siècle, et sur un ton humoristique, le sapeur
Camember déclarait :
" Quand les bornes sont dépassées, il n’y a
plus de limite ".
Les nouveaux justes ont fait de cette phrase leur devise et
nous devenons presque tous responsables de la Shoah. Ce qui est dit aujourd’hui
du Pape Pie XII, pourrait s’appliquer à tous les dirigeants politiques des
années 1940 – 1945 : Roosevelt, Churchill, de Gaulle. Et à mon sens
leur procès ne saurait tarder.
Quel rapport avec le procès fait à Maurice Papon ?
Très étroit. La dialectique des parties civiles, qui militaient pour la
condamnation " exemplaire " d’un fonctionnaire de Vichy,
est identique à celle employée à l’égard du pape Pie XII.
Rappelons l’argumentaire des parties civiles :
" Il savait ".
" Sa place protocolaire illustre sa
responsabilité ".
" Il avait le pouvoir de sauver, il avait donc
le pouvoir de sévir ".
" On doit prendre le dossier globalement. La
chaîne administrative forme un tout ".
Dans le cas d’un modeste fonctionnaire, comme pour un petit
Etat neutre, (la Suisse), et comme pour la plus haute autorité de l’Eglise,
on constate la même fureur et la même passion. Vous êtes tous responsables de
la Shoah et ceux qui, de près ou de loin, ont vécu cette époque sont
coupables, au moins par omission : cette culpabilité doit entraîner
condamnation, repentance et réparation. Maurice Papon représente l’Administration,
même comme sous préfet. Ce fonctionnaire fut ensuite un fidèle du général
de Gaulle avant de devenir ministre. En condamnant Papon, on condamnait le
gaullisme et la Résistance, ce contre quoi tous les Résistants qui ont
déposé au procès se sont élevés… en vain.
Aujourd’hui, à partir de la même dialectique, on veut
condamner la Suisse pour sa neutralité et l’Eglise à travers Pie XII.
La Shoah, grand inquisiteur de cette fin de siècle ? Du
juridique et du politique, on est passé aux contre parties financières. Les
banques suisses ont été sommées de verser d’énormes contributions, la
commission Mattéoli est accusée de tiédeur par les procureurs américains et
même à Bordeaux, Alain Juppé a du créer une commission chargée d’évaluer
à nouveau le montant des préjudices non réglés.
Jusqu’où et jusqu’à quand ? François Mitterrand
jugeait déjà dans les années 1980 que certains lobbies juifs dépassaient la
mesure. Que penserait-il aujourd’hui ? Certaines exigences sont devenues
intolérables. Reste à savoir combien de temps les opinions nationales et
internationales accepteront un conditionnement ayant déjà mis à mal un Etat
de Droit moderne universellement reconnu.
Dans la postface écrite pour la première " contre
enquête ", Jean François Steiner nous rappelait ce proverbe
grec :
" Les Dieux rendent fous ceux qu’ils veulent
perdre ".
A l’aurore d’un nouveau millénaire, il faut bien se
poser la question :
" Où nous entraîne cette nouvelle barbarie
humanitaire, qui se veut justice immanente ? "
Un constat : les tribunaux de la nouvelle inquisition
fonctionnent déjà. Le 5 septembre 2000, le juge américain David Trager
déposait une plainte à l’encontre de la SNCF accusée d’avoir activement
collaboré à la déportation de 75 000 Juifs.
© Hubert de Beaufort, Paris 2001