Hubert de Beaufort         Le Livre Blanc      
                Une étude exhaustive de l'histoire de l'occupation de Bordeaux
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7- ENTRETIENS AVEC PIERRE SAUFRIGNON,
POLICIER , RÉSISTANT, DÉPORTÉ A NEUENGAMME

ET AVEC

RENÉ TERRISSE,
HISTORIEN DE BORDEAUX OCCUPÉ


René Terrisse, l’historien de Bordeaux, a participé à l’interview de Jean Philippe Larrose. Il a écrit plusieurs ouvrages sur la guerre vécue par cette Gironde qu’il connaît fort bien. René Terrisse a pu ainsi constamment donner aux évènements vécus et relatés par Pierre Saufrignon une perspective historique. Homme de conviction au sens critique développé, René Terrisse a accepté de corriger les inexactitudes qui s’étaient glissées dans la description des organigrammes allemands et dans l’histoire de la Résistance relatée dans le livre blanc.

René Terrisse n’a pas témoigné au procès de Maurice Papon.

Les enregistrements vidéo ont été assurés par Thomas Goldet

 

Hubert de Beaufort

" Je suis heureux de pouvoir vous interviewer aujourd’hui, René Terrisse et Pierre Saufrignon.

René Terrisse, parce que vous êtes l’historien de Bordeaux et que vous maîtrisez bien son histoire douloureuse durant ces années 1940-1944. Vous avez rassemblé plus de 40 000 documents, vous avez écrit plusieurs ouvrages et effectué des synthèses exceptionnelles sur le Bordeaux de l’occupation.

Pierre Saufrignon, parce que vous êtes le seul qui puissiez vous exprimer en tant que policier résistant de Bordeaux, déporté à Neuengamme : un des camps les plus durs où les 2/3 de ceux qui y sont partis ne sont pas revenus. Vous avez une expérience de résistant, de policier, de déporté, vous avez vécu l’intérieur du système policier, les contraintes de l’occupation qui vous obligeaient à vivre à côté de la Gestapo et de la Kommandantur.

Je voudrais que vous tentiez d’expliquer votre parcours, à partir du moment où vous avez interrompu vos études de droit en Mars 1942, pour rentrer dans la police ".

Pierre Saufrignon

" On pouvait rentrer par concours ou grâce à une qualification particulière : ce fût grâce à ma deuxième année de droit. J’ai été présenté à Monsieur de la Houssaye qui m’a fait nommer à la Sûreté de Bordeaux. Je suis affecté à une brigade nouvelle, nommé " brigade annexe ", qui travaillait occasionnellement à l’instigation des Allemands. Nous intervenions en général pour le service du ravitaillement, pour le STO, pour rechercher des prisonniers évadés, etc.. .

Les Allemands, quant à eux, nous utilisaient directement sans passer par la préfecture, sans passer par le commissariat central : c’était simplement un ordre donné par téléphone, venant de la Kommandantur ou de la Kriegsmarine. Le traducteur des services de sûreté demandait alors 2, 3, 4 inspecteurs, tel jour à telle heure pour effectuer les transferts du fort du Hâ aux tribunaux ou réciproquement ".

H de B

" Je voudrais vous demander une précision : les services de police de Bordeaux vous engagent par l’intermédiaire d’un de ses collaborateurs. Cette police, dirigée par le colonel Duchon reçoit ses instructions soit du préfet, soit des Allemands. Rappelons que les Allemands à Bordeaux avaient mis en place des structures multiples : la Wehrmacht, la Kriegsmarine, la police des frontières, la Kommandantur, le KdS, etc…

Monsieur Terrisse, êtes vous d’accord avec ce schéma ? "

René Terrisse

Il faut bien distinguer la période 1940-42 et la période 1942-44. Durant les années 1940-42, c’est la Wehrmacht et la Kommandantur qui font la loi et à partir de Mai1942 les pouvoirs policiers sont retirés à la Wehrmacht pour être confiés au général Oberg, nouveau commandant des polices et des SS. Les polices sont désormais placées sous l’autorité du BdS commandé par Knochen qui met en place des antennes régionales, les KdS. Les tribunaux militaires ne sont plus d’actualité : nous entrons dans l’ère des déportations et des exécutions sans jugement ".

H de B

" Nous sommes d’accord : à partir de Mai 1942 à Bordeaux, ce sont les services du Kommandeur Luther et du " gestapiste " Dohse qui entrent en fonction. La Kommandantur s’efface, les tribunaux militaires s’effacent et nous voyons s’affirmer une politique allemande beaucoup plus contraignante.

Monsieur Saufrignon, comment fonctionnait votre service et quelles étaient vos fonctions ? "

Pierre Saufrignon

Notre brigade, commandée par Duclos, comportait 12 inspecteurs et nous nous occupions surtout des questions touchant le ravitaillement, le STO, les insoumis, les prisonniers évadés, les transferts de prisonniers. Nos bureaux étaient situés rue Elysée Reclus, pratiquement à l’ombre de la mairie. Le chef de service se nommait Bonhomme, puis ce fut Monsieur Lescure ".

H de B

" Vous nous parlez des différentes missions qui étaient confiées à votre brigade. Avez vous été concerné par les arrestations de Juifs ? " 

Pierre Saufrignon

Non, jusqu’au 10 janvier 1944 ".

H de B

" Cette date n’est pas sans signification. Bousquet a été limogé et toutes les forces de police ont été placées sous l’autorité de Darnand ".

René Terrisse

" Il existe une différence de nature entre les deux époques : avant Janvier 1944 et après. Darnand nommé responsable du maintien de l’ordre, est à la fois le chef de la milices et de toutes les forces des police et de gendarmerie. Bousquet n’était, lui, que Secrétaire Général de la police ".

H de B

" N’oublions pas non plus qu’en Janvier 1944, les Allemands recherchent toujours le Grand Rabbin Cohen qui a pris le maquis le 17 décembre 1943. Sa disparition va entraîner des réactions anti-juives très brutales de la part des SS ".

Pierre Saufrignon

Heureusement, c’est aussi à ce moment là que les réseaux de Résistance se développent beaucoup, malgré les arrestations massives perpétrées par la Gestapo et la Milice ".

H de B

" Les actions allemandes durant l’année 1943 se révèleront en effet sanglantes pour la Résistance : en juillet, c’est l’arrestation de Jean Moulin et des réseaux du BCRA, en Septembre c’est l’opération Grandclément à Bordeaux, qui décapite l’OCM. A cette occasion, a-t-on vraiment assisté à une recherche de paix séparé, par l’intermédiaire de Joubert et de Thinières, tentative menée par Dohse avec l’appui du BdS ?

Quant à vous, Pierre Saufrignon, vous entrez dans le réseau Navarre courant 1943. Rappelez nous dans quelles conditions ".

Pierre Saufrignon

Mon chef de brigade (Duclos) et moi étions en parfaite communion de pensée. Nous sabotions tout ce qui nous était possible. Par exemple, étant chargé d’arrêter 9 personnes suspectées d’être insoumises, nous avons établi 8 rapports justifiant leur position. Le dernier nous semblait suspect : nous l’interrogeons et il demande à téléphoner. Deux heures plus tard, un agent de la Gestapo est venu le chercher. C’était l’un des leurs. Voilà notre grand souci à l’époque : à qui se fier ? La provocation constituait une des armes favorites de la Gestapo ".

H de B

" Il est vrai que les réseaux de résistance étaient presque tous infiltrés, et ce fut votre drame dans le réseau Navarre avec un certain Lespine… qui vous avait demandé de venir travailler avec lui ".

Pierre Saufrignon

J’avais connu Lespine en Faculté de Droit : nous nous connaissions sans avoir beaucoup sympathisé. Tous deux étions originaires de la zone forestière des Landes. Un jour Duclos m’annonce qu’un ami va nous faire rentrer dans un réseau de Résistance… et je tombe sur Lespine qui ne peut retenir un haut de corps en me reconnaissant. Après mon arrestation, j’ai souvent pensé que, dès cette date, il appartenait à la Gestapo ".

H de B

" René Terrisse, votre jugement est différent ? "

René Terrisse

Je comprends et je respecte la réaction de Saufrignon, mais je reste perplexe sur le retournement de Lespine dés 1943. Certes il a détruit son réseau, mais les Allemands lui avaient accolé un ange gardien, un Espagnol nommé Antonio qui n’apparaît que début1944. Je ne pense pas qu’il travaillait pour la Gestapo en 1943 ".

Pierre Saufrignon

Ma réaction est peut-être passionnelle. Mais pour en revenir à nos actions de résistance, je voudrais en donner un exemple. Un jour, nous recevons l’ordre d’arrêter 73 jeunes insoumis et de les envoyer au camp de Mérignac. La brigade fait le tour des familles et leur dit : " Vous êtes convoqués après-demain à la brigade. Si vous venez, vous serez envoyés au camp de Mérignac ". Evidemment sur les 73… deux sont venus avec leur valise… et sont partis pour Mérignac. 71 se sont enfuis grâce à nous.

Dans le réseau, j’ai refusé de tuer et me suis cantonné dans des missions de surveillance, de renseignement et de protection. Je fus aussi chargé de repérer les pièces de DCA, de noter certaines positions allemandes, etc…Je travaillais à mes missions avec Grolleau et Duclos, sans connaître les autres membres du réseau qui travaillait heureusement de façon très cloisonnée.

J’ai découvert la vie réelle du réseau 20 ans plus tard, car après la guerre nous avons voulu repartir sur de nouvelles bases et oublier cette période ".

H de B

" Vos actions et réactions sont significatives d’une époque placée sous le signe de la contrainte. Les instructions officielles répondaient aux exigences allemandes, mais oralement on conseillait l’inverse de ce qui était écrit.

La grande injustice du procès de Bordeaux, c’est que les témoins qui connaissaient la différence entre l’écrit et l’oral ont disparu : les Chapel, Duchon, Sabatier, Cusin, Soustelle, Cohen et tant d’autres.

Puisque nous parlons de témoignages, comment était perçu dans votre brigade le problème juif à Bordeaux ? "

Pierre Saufrignon

" Le problème n’était pas inconnu, car la propagande antisémite de Vichy affirmait à la population que les Juifs étaient responsables de la guerre. Je me souviens d’une fameuse exposition dont je suis sorti horrifié.

Comme je vous l’ai dit, nous ne sommes pas intervenus dans les premières arrestations. La brigade n’a été mobilisée que le 10 janvier. Nous avons été dispensés, l’Inspecteur Dubois et moi-même à cause de notre jeune âge, à participer aux arrestations. Je sais qu’un inspecteur est parti prévenir des familles juives, afin qu’elles puissent échapper aux arrestations. Malgré tout le lendemain, Duclos m’a dit : " Je viens de vivre une nuit abominable, je me demande si je ne vais pas démissionner. Les agents de la Gestapo suivaient les inspecteurs pour voir s’ils exécutaient les ordres ".

Le lendemain 13 Janvier, nous devions arrêter deux jeunes juifs, une fille de 16 ans et un garçon de 14 ans. Mon intention était de les faire fuir. Nous sommes allés au 37 rue Esprit des Lois, chez un dentiste. Nous sommes tombés effectivement sur une jeune juive française avec le tampon " Juif " sur sa carte d’identité, et lui avons dit : " Vous avez 20 minutes pour prendre le tramway de Leognan. Sauvez vous avec votre frère ". Je pense qu’ils ont effectivement été sauvés.

Le lendemain, nous avons été tenus au courant des lamentables conditions dans lesquelles les Juifs étaient parqués dans la synagogue. Paradoxalement nous avons estimé que nous devions rester et non démissionner.

Malheureusement, le 24 Janvier, nous étions convoqués au fort du Hâ , où nous avons été arrêtés par des agents de la Gestapo. Toute la brigade fut incarcérée ainsi que notre inspecteur chef qui était venu aux nouvelles.

Duclos et moi avons pris sur nous les accusations, car nous avions compris que c’était Lespine qui nous avait vendus. Nos collègues ont été libérés le 23 Février, après notre interrogatoire par Poinsot ".

H de B

" Comment fonctionnaient ces services de police qui sont au cœur du procès Papon ? "

René Terrisse

Certains témoignages sont explicites : ceux de Luther, le chef du KdS par exemple. L’interlocuteur privilégié des services allemands est incontestablement le colonel Duchon, l’Intendant de police. C’est lui qui, sur le plan opérationnel, dialogue avec les services allemands. Je pense que les commissaires divisionnaires dépendaient du colonel Duchon ".

Hubert de Beaufort

" Le supérieur et l’interlocuteur quotidien de Duchon, c’est le préfet Sabatier ? "

René Terrisse

" Les faits parlent d’eux même. Dans la dramatique affaire des otages fusillés en septembre 1942, c’est Duchon qui est averti en premier par les Allemands et ceux-ci lui demandent de prévenir le préfet. Duchon est donc le trait d’union " réflexe " du KdS et de la police française ".

H de B

" Puisque nous parlons de la Gestapo, il est clair pour moi que le Machiavel animant l’ensemble des actions policières allemandes, de façon directe ou indirecte, c’est Dohse. C’est lui le chef d’orchestre des répressions à Bordeaux ".

René Terrisse

Le chef d’orchestre, incontestablement ".

Pierre Saufrignon

Je confirme. Paradoxalement, nous ne savions pas très bien comment fonctionnait notre hiérarchie, mais nous savions très bien que Dohse menait les actions de la Gestapo. Je connaissais mieux le nom de Dohse que celui de Sabatier et connaissais encore moins bien le nom de Papon ".

H de B

" Pierre Saufrignon, après votre arrestation, vous allez passer près de quatre mois au fort de Hâ en vous demandant quel va être votre sort. Finalement vous vous retrouvez sur le quai de la gare le 10 mai 1944, avec plusieurs centaines de déportés politiques, 520 selon Terrisse, qui vont partir à Neuengamme.

Combien de policiers parmi les déportés ? "

Pierre Saufrignon

Nous étions une bonne douzaine, quatorze je crois. Et surtout je vois celui qui m’a fait entrer dans le réseau Navarre : Lespine avec une mitraillette sur l’épaule et qui est en train d’obstruer les jours de wagons. Et puis une image qui domine ce sinistre départ : Dohse en grand uniforme SS, une paire de gants gris à la main, souffletant un déporté qui lui reprochait de ne pas l’avoir libéré comme il l’avait promis ".

H de B

" Comment analysez vous la politique de Dohse durant ces années 1942-44 ? "

Pierre Saufrignon

C’était un homme diabolique ".

René Terrisse

Je pourrais aussi employer le mot de diabolique. Au départ, c’est un modeste sous-officier qui ne sera nommé Lieutenant SS qu’en 1944. Mais pour maintes raisons, il a toujours été l’homme clef du KdS de Bordeaux. C’est un des rares policiers de métier qui a suivi toutes sortes de stages, y compris dans le service du contre espionnage de la Wehrmacht. Il est rompu à toutes les stratégies du renseignement, parle très bien français et est indispensable à sa hiérarchie. Il bénéficie en outre d’une double protection : celle de Boemelburg, le chef redouté de la Gestapo à Paris et celle d’Hagen, son prédécesseur à Bordeaux, qui deviendra le directeur de cabinet du général Oberg. Dohse est toujours couvert, même quant il commet des erreurs. Enfin n’oublions pas que c’est lui qui manipule tous les agents français. Il a vraiment tous les atouts policiers en main : le renseignement, les polices supplétives françaises, les Résistants retournés, les polices allemandes ".

Pierre Saufrignon

Et puis c’est un homme qui obtient des résultats ".

René Terrisse

Il faut reconnaître qu’il a une plus forte personnalité que la plupart des pantins qui gravitent autour de lui. Il est indispensable. Le meilleur exemple que l’on puisse donner, c’est la décision prise par les membres du KdS, après son départ de Bordeaux vers l’Allemagne. Le Kommandeur Machule est mis aux arrêts et la direction du convoi est confiée à Dohse. C’est incroyable ".

H de B

" Quelle vision avez vous de la Préfecture durant cette époque ? " 

Pierre Saufrignon

Notre seul contact avait pour objet les vraies fausses cartes d’identité. Sur l’établissement d’une simple fiche de renseignements que nous certifiions, nous obtenions des services de la Préfecture de vraies cartes d’identité. Je me souviens très bien que l’on me donnait ces vraies fausses cartes avec des mines entendues : le personnel n’était pas dupe.

A part cela nous n’avions pas de relations directes. Nous recevions nos ordres du Commissariat central et du chef de la Sûreté, qui les recevaient eux-mêmes de l’Intendant Duchon ".

H de B

" La Préfecture usait de la seule arme dont elle disposait : l’inertie administrative.

Mais au niveau de la Résistance, pensez vous que tous les réseaux étaient plus ou moins infiltrés par les Allemands ? "

René Terrisse

Je pense très honnêtement que la plupart des réseaux étaient infiltrés, même depuis 1942, même depuis 1941, par la brigade Poinsot. Citons par exemple les Auberges de la Jeunesse, le groupe du professeur Auriac, celui du jeune Bergès, dont cinq membres ont été condamnés à mort et fusillés. Il y avait la brigade Poinsot, mais aussi les agents de l’Abwehr, ceux du KdS, ceux de la Milice.. sans compter les résistants retournés. 

Après la Libération, la Résistance s’est construit une histoire glorieuse, alors qu’en réalité, les vrais Résistants étaient bien peu nombreux. Les bonnes volontés étaient rares, les enquêtes difficiles sur les nouveaux arrivants, ce qui facilitait grandement les infiltrations de la Gestapo ".

Pierre Saufrignon

Je pense que le cas de Bordeaux est particulier, avec la rencontre de deux personnages qui domineront la ville. D’un côté : Poinsot, actif, ambitieux, intelligent, motivé par sa haine des communistes et des gaullistes. De l’autre : Dohse, également ambitieux et brillant. La conjonction de ces deux " talents " a réduit la Résistance à l’impuissance ".

René Terrisse

Ce qui est surprenant, c’est l’ampleur des résultats obtenus contre la Résistance avec des effectifs relativement réduits. Au départ, Poinsot commence avec deux inspecteurs avant que sa brigade ne plafonne à une vingtaine. Et elle arrêtera 900 personnes !

Même remarque concernant le KdS allemand dont les effectifs ne dépasseront pas 80/90 personnes.

En réalité, Poinsot et Dohse ont été aidés par l’auto destruction de la Résistance qui passait plus de temps à s’entre déchirer et à se combattre, qu’à lutter contre les Allemands. On parlera beaucoup de maquis, de dépôts d’armes, d’actions de sabotage, alors que Bordeaux a été évacuée sans combats… car les vrais Résistants étaient, pour la plupart, fusillés ou détenus dans les camps de concentration. Fin 1942, il n’y a pratiquement plus de résistants communistes, trahis par leurs transfuges. Aujourd’hui on met tous ces drames sur la tête de Grandclément, (chef de l’OCM), mais c’est facile, puisqu’il n’est plus là pour se défendre et qu’il a été exécuté par Aristide, (Roger Landes), dans des conditions plus que suspectes ".

H de B

" La Cour d’Assises a complètement oublié l’ampleur des déportations politiques et des exécutions de Souges : elle s’est uniquement focalisée sur les déportations de Juifs, sans se rendre compte que les arrestations constantes de résistants et les fusillades tétanisaient les Bordelais, la préfecture et la mairie. Mais revenons sur la déposition de Pierre Saufrignon. Que pensez vous de l’ambiance dans laquelle s’est déroulé le procès ? "

Pierre Saufrignon

Durant mon témoignage réclamé par l’accusation, j’ai dit ce que j’avais à dire et je ne reviens pas dessus. Par contre, étant donné la façon dont les événements de l’époque ont été présentés, je ne vois pas comment on pouvait aboutir à une autre issue que la condamnation de Maurice Papon. Tout a été fait pour cela ".

 H de B

" Et vous, René Terrisse, comment avez vous analysé la façon dont a été présentée la réalité allemande, au cours du procès Papon et le réalité de la Résistance ? " 

René Terrisse

" D’abord le procès a eu lieu trop tardivement, ensuite la situation de Bordeaux a été présentée comme si la guerre n’existait pas et comme si la ville n’était pas en zone occupée. Plus surprenant encore, il n’a pas été expliqué que les Allemands étaient installés depuis 1940 et que leurs services, leurs hommes , leurs fichiers, leurs correspondants, avaient préparé les déportations, bien avant l’arrivée de Maurice Papon. La planification s’est déroulée en dehors de lui.

Du côté de la Résistance, beaucoup d’arrestations, beaucoup d’infiltrations et on ne peut pas reprocher, ni à Papon d’avoir été prudent dans ses approches, ni à ceux qui ont été pris d’avoir parlé et avoué. Par contre on doit rester intransigeant pour ceux qui ont volontairement trahi ".

Pierre Saufrignon

" Face aux accusateurs, il était impossible de rester muet, sinon vous étiez roué de coups et l’on avouait n’importe quoi. Bonnier et Jean Moulin se sont suicidés parce qu’ils savaient qu’ils parleraient : sous la torture on ne sait plus ce que l’on dit. Avec Poinsot et Celérier, j’ai toujours avoué mes propres actions afin de préserver les autres membres du réseau. Concernant Poinsot, on savait très bien ce qu’il pensait et ce qu’il faisait. Par contre Celérier, qui m’a fait signer ma déposition, était du genre : " Vous êtes aujourd’hui devant moi, mais dans six mois il est possible que ce soit l’inverse ". Il n’était pas sûr de lui et n’a pas poussé son avantage, voulant préserver son avenir. Ma mère et ma sœur ont demandé audience à Poinsot : il les a reçues avec deux revolvers posés sur la table et braqués sur elles. Elles étaient effrayées et elles étaient venues plaider ma cause. La réponse de Poinsot a été claire :

Le petit Saufrignon ne vaut rien et il ira là où il doit aller ".

H de B

" Les méthodes de Dohse sont assez particulières, si on les compare à celles de Barbie à Lyon : Dohse n’agit pas directement comme Barbie, mais par personnes interposées : Poinsot, Dehan, Vincent, Giret et autres…" 

René Terrisse

" Les premiers contacts de Poinsot avec les Allemands se sont faits par l’intermédiaire de Hagen qui a créé le réseau de correspondants que reprendra Dohse. Ce réseau a été monté en collaboration avec la première équipe de la préfecture : celle du préfet Pierre-Alype et de son chef de cabinet Reige. Reige initie l’équipe Poinsot et met en place Garat comme gestionnaire du service du fichier des Juifs. Reige établit aussi un service de renseignement à l’intérieur même de la Préfecture ".

H de B

" Le moins que l’on puisse dire, c’est que Sabatier et Papon arrivent en terrain miné. Leur marge de manœuvre devait être nulle au départ et il faudra du temps et de la patience aux nouveaux arrivants, pour redonner à l’organisation administrative de la préfecture une capacité d’initiative.

Pour en revenir à Poinsot, a-t-il assumé ses responsabilités durant son procès, après la guerre ? "

Pierre Saufrignon et René Terrisse

Tout à fait. Il a même rajouté au moment de son exécution : " Si j’avais su, j’en aurais fait bien davantage ".

H de B

" Et Dehan , le chef de la SEC, (Service des questions juives, dépendant de Vichy) ? " 

René Terrisse

" C’était un raté : il était tout heureux quand on venait le supplier. Il se sentait alors tout puissant. Pour moi, les motivations de Dehan sont la revanche d’un raté, qui était quand même aussi membre de la Milice et agent de l’Abwehr ".

© Hubert de Beaufort, Paris 2001