Hubert de Beaufort         Le Livre Blanc      
                Une étude exhaustive de l'histoire de l'occupation de Bordeaux
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3- La Résistance en Gironde, l’OCM et l’affaire Grandclèment

En 1942, l’organisation dominante en Gironde est sans conteste l’OCM (1), (Organisation Civile et Militaire), qui reçoit de nombreux parachutages venant de Londres. Malheureusement début 1943, la SAP du commissaire Poinsot, puis la Gestapo, apprennent qu’un mouvement important de résistance s’est constitué dans la région : en Juillet plus de deux cent cinquante membres de l’OCM régionale sont arrêtés. L’OCM était dirigée par André Grandclément, un assureur de 33 ans récemment divorcé, qui avait été nommé chef de la région B, (elle s’étend de la Loire aux Pyrénées).

Deux mois plus tard, Grandclément qui avait quitté Bordeaux, est lui-même interpellé à Paris et transféré à Bordeaux où il est " retourné " en partie par Friedrich Dohse, (chef de la Gestapo). Après avoir livré certains dépôts d’armes, Grandclément entretiendra avec Dohse des relations ambiguës, suspectées par Londres en particulier lorsqu’il envisage de créer des maquis anticommunistes et d’en convaincre le gouvernement d’Alger ! Dans ce but, deux émissaires, (Joubert et Thinières), passeront la frontière espagnole dans la voiture de Dohse lui-même : ils rejoindront Alger et rencontreront, le 5 janvier 1944, un de Gaulle stupéfait, auprès duquel ils exposent leur extravagante mission. Le général les fera interner dans le sud algérien. Malheureusement le mal est fait : désormais la Résistance gaulliste se déchire et de nombreux Résistants sont arrêtés en Gironde et ailleurs.

Très vite, les Anglais et les Gaullistes s’inquiètent des conséquences de l’effondrement de la Résistance dans le Sud Ouest ainsi que des ravages causés par l’action de la police allemande qui a infiltré et décimé les réseaux. Le SOE (2) anglais, qui travaillait en liaison étroite avec l’OCM en lui parachutant armes et matériels, envoie un responsable, Roger Landes, (Aristide), pour reconstituer un réseau et liquider les suspects. Le colonel Eugène Camplan (OCM) qui avait la confiance des FFI, avait déjà disparu le 18 janvier sans laisser de traces, probablement exécuté par le clan de Claude Bonnier, le nouveau délégué militaire régional (DMR), qui suspectait Camplan d’entretenir des relations avec Dohse. Le 10 Février Bonnier est arrêté à son tour. Malheureusement il est pris avec une valise contenant la liste nominative de ses réseaux : désespéré, il se suicide dans sa cellule en avalant une pastille de cyanure, mais son erreur causera l’arrestation de 300 Résistants.

L’hécatombe ou plutôt l’autodestruction de la Résistance accentue les conséquences de la répression allemande : le 19 Mai 1944, Roger Landes fait abattre Basilio seulement coupable de connaître son QG, puis Renaudin, (le 29 Juin) et Noël, (le 10 Août). Ces chefs de réseaux étaient proches de Grandclément. Quant à Grandclément lui-même, son épouse et son garde du corps, ils seront exécutés à leur tour trois semaines avant la libération de Bordeaux, alors qu’ils voulaient partir se justifier à Londres. Pourquoi cette précipitation chez Roger Landes ? Pourquoi avoir tué de sa main Lucette Grandclément à qui rien ne pouvait être reproché, pourquoi la mallette de Grandclément renfermant de nombreux dossiers a-t-elle disparu : le mystère reste entier.

Deux certitudes demeurent.

- Landes a relaté dans une interview , ce que l’on doit bien appeler l’assassinat de Lucette Grandclément : " Je marchais derrière elle, j’ai appuyé mon colt derrière sa nuque et ait tiré. Le sang a giclé à un mètre ". L’horreur froide de cette description se passe de commentaire.

- Dohse avait menacé de faire exécuter 100 otages si Grandclément était assassiné. Le lendemain de l’annonce de la mort de Grandclément, 50 otages seront en effet fusillés.

Même le général Moraglia, nommé chef des FFI par le COMAC d’Alger, échappera de peu à un attentat fomenté par Londres. Et puisque nous enquêtons, allons jusqu’au bout.

Après la guerre, Roger Landes épouse Ginette Corbin, pharmacienne à Bordeaux. Elle avait été d’abord fiancée à Henri Labit, parachuté par Londres le 3 Mai 1942 et malheureusement arrêté par la GFP dés le lendemain, par la Geheime Feld Polizei, (police de campagne). Le jeune homme se suicidera en gare de Langon pour ne pas parler : malheureusement il avait conservé dans son portefeuille une lettre adressée à Ginette qui est aussitôt arrêtée avec sa mère… puis libérée quelques jours plus tard sans explication. Quant à Charles Corbin, inspecteur de police auxiliaire, et père de Ginette, fort curieusement il ne sera jamais inquiété alors qu’il va devenir un des plus proches collaborateurs de Grandclément… puis de Roger Landes avec lequel il séjournera à Londres durant plusieurs mois.

La résistance communiste tenta elle aussi de s’affirmer en Gironde, mais les arrestations, les infiltrations de la Gestapo puis les trahisons décapitèrent les réseaux FTP. Dès mai 1942, le chef de secteur René Vacher est appréhendé ainsi que l’instituteur René Giret qui ne tardera pas à être retourné et à servir le KDS : il sera immatriculé sous le numéro 155 et touchera un fixe de 5 000 francs par mois. Plus de 60 arrestations sont alors effectuées par la brigade Poinsot qui démantèle le réseau FTP des Landes. Ce sera ensuite le tour d’Armand Duvivier de tomber entre les mains de la sinistre SAP : Duvivier est délégué du comité central et responsable des FTP région sud. Gérard Blot, un des chef de la Charente Maritime subit le même sort. Son adjoint Vincent se mettra alors au service des Allemands et là encore le cycle répression-retournement produira des effets dévastateurs dans les réseaux communistes.

Arrêtons là : René Terrisse dans ses différents ouvrages sur Bordeaux occupé, a fort bien décrit le drame mérovingien de la Résistance et les troublantes obscurités de l’affaire Grandclément. Pour Terrisse, la Résistance s’était auto détruite durant l’année 1944 et elle n’existait pratiquement plus à la Libération, où ne survivaient que des groupes de Résistants sans coordination.

Dans un tel contexte, (un nid de vipères selon Gaston Cusin), on comprend que Maurice Papon ne pouvait agir qu’avec la plus grande prudence, ce qu’il tenta de faire avec les réseaux Jade Amicol (3) et Marco Kléber (4). Robert de la Rochefoucaud, grand résistant, emprisonné au Fort de Hâ dont il s’évadera après avoir exécuté ses geôliers, témoignera durant le procès de Bordeaux avoir rencontré dans le maquis des Juifs ayant bénéficié de faux papiers délivrés par la Préfecture.

Ce seul témoignage aurait dû suffire à faire acquitter Maurice Papon et il y en eut d’autres confirmant la résistance efficace et discrète du Secrétaire Général de la Préfecture, (voir, affaire Papon, la contre enquête). Et comment ne pas citer aussi la note de remontrance adressée par le Commissariat aux questions juives à la Préfecture, suspectée de sabotage administratif… (voir annexe ci après).

On ne peut d’ailleurs parler de collaboration et de résistance sans évoquer l’épuration qui suivit la libération de la Gironde : 4 838 internements administratifs ont été prononcés en 1945, 882 personnes vont comparaître devant la Cour de justice de Bordeaux et 1885 devant le Tribunal Militaire. Il y aura 27 exécutions, (dont Poinsot et Dehan), et 800 condamnations à des peines d’emprisonnement.

En Août 1944, au moment de la Libération, la Résistance est exsangue et Gaston Cusin, le nouveau Commissaire de la République désigné par de Gaulle, s’appuiera sur la seule structure efficace : le secrétariat général de la Préfecture de Bordeaux animé par Maurice Papon.

Après la guerre, personne ne songe alors à mettre en cause le préfet Sabatier et a fortiori Maurice Papon, alors que Reige, qui avait été le directeur de cabinet de Pierre-Alype, (prédécesseur de Sabatier), sera recherché, jugé et condamné à mort comme collaborateur notoire. Même Michel Slitinsky, " le grand inquisiteur bordelais " et premier accusateur de Maurice Papon à partir de 1981, ne le cite pas dans son ouvrage de 1950 sur la Résistance en Gironde.

(1) L’OCM est née de la jonction de deux groupes animés par Maxime Bloch Mascart et Jacques Arthuis. Le responsable national sera le colonel Touny. L’OCM recevra l’aide active du SOE.

(2) SOE, le Special Operations Service britannique était chargé de coordonner les actions menées contre le IIIème Reich, dans les pays occupés. La branche française était animée par le colonel Maurice Buckmaster.

(3) Réseau Jade Amicol. Il recherchait des renseignements d’ordre civil et militaire. S’est aussi occupé du passage en Espagne des aviateurs américains dont les appareils avaient été abattus. (Perpezat qui a témoigné à Bordeaux a expliqué l’affaire et le rôle de Maurice Papon).

(4) Réseau Marco Kléber. Roger- Samuel Bloch y travaillait : durant ses missions à Bordeaux il était hébergé par Maurice Papon.

© Hubert de Beaufort, Paris 2001