Hubert de Beaufort         Le Livre Blanc      
                Une étude exhaustive de l'histoire de l'occupation de Bordeaux
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2- Rappel des procédures de " l’affaire Papon"

Ces procédures se sont étalées sur dix sept ans, de 1981 à 1998. Il est utile d’en rappeler les étapes :

- 1982 : dépôt des premières plaintes contre Maurice Papon.

- 1984 (février) : le juge Nicod, doyen des juges d’instruction de Bordeaux, demande une expertise sur le mécanisme des déportations juives à Messieurs Bellion, Delarue et Gouron.

- 1985 (janvier) : dépôt du rapport des experts démontrant que Maurice Papon a sauvé un grand nombre de Juifs.

- 1987 : annulation des procédures et du rapport des experts par la Cour de Cassation. Motif de l’annulation : le préfet Sabatier a été entendu comme témoin, alors qu’il était, à l’époque des faits, le supérieur de Maurice Papon. L’annulation touche par contre coup le rapport des experts donnant la liste nominative des personnes que Maurice Papon avait soustraites à la déportation. Jacques Delarue, l’un des experts, rapporte qu’un substitut lui avait assuré que l’annulation de la procédure avait pour objet de priver l’inculpé d’un moyen essentiel de défense.

- 1982-1990 : Maître Boulanger retient les plaintes de certaines parties civiles afin de relancer l’instruction, si elle menaçait d’aboutir à un non-lieu.

- 1990 : Monsieur Braud, magistrat instructeur, est muté alors qu’il va déposer un non-lieu

- 1995 : Maurice Travers, un grand résistant qui témoigne en faveur de Maurice Papon fait état des pressions dont il est l’objet de la part du nouveau magistrat instructeur, Madame Annie Léotin, dans le but de lui faire modifier son témoignage.

- Fin 1995 : l’avocat général Defos du Rau est évincé, sur demande de la chancellerie, parce qu’il va développer oralement des conclusions de non-lieu.

- 1997 : la Cour de Cassation définit une extension du crime contre l’humanité, sous la forme d’un nouveau concept, " la complicité matérielle sans connaissance de la solution finale ".

Une telle extrapolation permettrait d’inculper la Croix Rouge qui porte assistance, les cheminots de la SNCF conduisant les trains de déportés, etc…

JP. Delmas St Hilaire, professeur émérite à l’Université de Bordeaux, commente ainsi l’arrêt de la Cour de Cassation, instituant cette complicité matérielle pouvant ignorer la " solution finale " :

En définitive, que l’on se place au point de vue du statut de Nuremberg ou de celui du droit commun de la complicité punissable, la solution consacrée par la Chambre, (de Cassation), ne nous semble pas fondée juridiquement. L’autorité qu’il importe de voir s’attacher à de telles décisions, dont la gravité est unique, ne peut se contenter d’être fondée sur le seul prétexte de satisfaire aux exigences de l’Histoire et à celle de la Mémoire . Cette autorité ne peut se dispenser du respect du Droit, assise obligée d’une société démocratique. Toute dérogation est au sens étymologique du terme, une " injuria ", une injure faite au Droit ".

- 1997, (8 octobre) : ouverture du procès en Cour d’Assises de Bordeaux, avec une campagne d’intimidation permanente. Serge et Arno Klarsfeld déstabilisent le Président des Assises, selon des méthodes que nous relatons dans le chapitre suivant " Les Klarsfeld s’expriment ".

Les manifestations orchestrées devant le palais de Justice de Bordeaux, avec cérémonies, bougies et photos d’enfants, laissent penser à l’opinion publique qu’il existe une relation entre les déportations d’enfants et Maurice Papon.

Madame Léotin, le magistrat instructeur, s’affiche avec les parties civiles.

« Elle proclame son engagement militant en embrassant ostensiblement les avocats de la partie civile après leurs plaidoirie ». (Eric Conan, Le procès Papon, un journal d’audience).

- 1998, (2 avril) : condamnation de Maurice Papon à 10 années de réclusion, pour complicité de crime contre l’humanité. Recours de Maurice Papon devant la Cour de Cassation.

Les débats de la Cour d’Assises se sont étirés sur six mois et le jury, (qui n’a pas à motiver sa décision), a dû répondre à quelques 800 questions. Même pour un procès non politique, un jury ne peut réponde 800 fois non. Il était d’ailleurs impossible à Maurice Papon et à la défense de tenir tête simultanément aux 24 avocats des parties civiles et à l’accusation. On doit même regretter que Maurice Papon ait accepté de se prêter aux questions d’une trentaine d’accusateurs. Sur le simple plan de la forme, comment lutter seul à 87 ans contre des adversaires recherchant la moindre faille d’expression ou un souvenir défaillant ?

Seul le silence pouvait montrer à l’opinion et au jury le caractère outrancier et le plus souvent aberrant des accusations portées. Heureusement, l’Histoire gardera les traces des débats, puisque l’éditeur Albin Michel a publié la quasi intégralité du procès sous forme de deux volumes de 950 pages portant comme titre : " Le procès de Maurice Papon ".

Certes, ce procès pourra être étudié et commenté par les générations futures, mais pour le présent, l’affaire Papon a miné les fondements de l’Etat de Droit. Comment ? De plusieurs façons : en établissant une jurisprudence rétroactive spécifique, en laissant l’instruction se déliter, en acceptant que la justice soit mise sous influence, en laissant organiser une vindicte médiatique exigeant la condamnation d’un sous-préfet. Face à cette réécriture de l’Histoire réclamant un bouc émissaire, Maurice Papon donnera un exemple de stoïcisme, de dignité en résistant à près de 90 ans, à 17 ans d’instruction et à 6 mois de procès.

- 1999, (4 octobre) : la Cour d’Assises de Bordeaux se déclare incompétente sur la dispense de " mise en état ".

- 1999, (11 octobre) : la Chambre d’Accusation de Bordeaux refuse la dispense de " mise en état ", alors que la Cour Européenne condamne la France pour cette obligation.

- 1999, (21 octobre) : la Cour de Cassation constatant que Maurice Papon ne s’est pas " mis en état ", annule le pourvoi de l’accusé…mais accepte que les parties, (accusation et défense), plaident sur leurs dossiers. Maurice Papon, qui préparait en Suisse son dossier européen avec un cabinet genevois, est extradé par une procédure d’urgence et incarcéré à la prison de la Santé.

- 2000, (14 janvier) : recours déposé devant la Cour Européenne de Strasbourg par Maître Argand, (Genève), et Maître Varaut.

- 2000, (printemps) : députés et sénateurs reconnaissent que les décisions de la Cour Européenne devront désormais s’imposer aux juridictions françaises.

- 2000, (octobre) : le président de la République, Jacques Chirac, refuse la grâce médicale demandée par les médecins. A 90 ans, Maurice Papon devient ainsi le plus vieux prisonnier du monde.

© Hubert de Beaufort, Paris 2001