Missions dévolues au BdS d’Helmut Knochen
Les missions dévolues à la Police de Sûreté et du Service
de Sécurité, (BdS) du colonel Helmut Knochen sont triples :
- Garantir la sécurité des troupes d’occupation en s’appuyant
sur son bras séculier, la Gestapo.
- Assumer une présence constante auprès du gouvernement de
Vichy, pour que celui-ci ne s’écarte pas des objectifs fixés par Berlin dans
sa politique d’occupation.
- Faciliter la mise en œuvre du programme de déportation
des Juifs réclamé par Himmler, Müller et Eichmann.
Mais se pose une question préalable, pour comprendre le
fonctionnement des polices allemandes : de qui dépend le BdS, à qui
rend-il compte ? Paradoxalement la réponse n’est pas simple car la
hiérarchie de commandement allemande de l’Occupation apparaît à trois,
quatre têtes ou cinq têtes :
- En premier, on trouve le Militärbefehlshaber , (Haut
Commandement des forces d’Occupation en France), avec à sa tête le général
Stülpnagel. Knochen prend donc ses instructions et rend compte régulièrement
de ses missions auprès de l’Etat Major de Stülpnagel, (Speidel durant un
temps).
- En parallèle, se situe le RSHA de Berlin avec
Kaltenbrunner, dont Knochen est le représentant officiel en France.
- En concurrence avec ces deux premières hiérarchies, nous
trouvons l’ambassade allemande à Paris, représentée par Otto Abetz, dont
Ribbentrop avait défini ainsi les fonctions :
" Le Führer a expressément ordonné par la
présente que l’ambassadeur Abetz soit seul responsable du traitement de
toutes les questions politiques en France occupée et non-occupée ".
Ces trois organigrammes, qui se croisent déjà, sont
complétés par deux autres qui semblent fonctionner de façon autonome :
- Le rattachement direct du général Oberg à Himmler, ligne
hiérarchique à laquelle Knochen n’a pas accès et qui lui est même
interdite.
- Les déportations juives, qui selon les déclarations
mêmes d’Oberg, sont traitées directement par Müller et Eichmann à Berlin,
puis par la Gestapo à Paris, (Boemelburg, Brunner, Röthke). Certes Knochen est
chargé de transmettre les instructions de Berlin au gouvernement de Vichy, mais
le Militärbefehlshaber de Stülpnagel est lui aussi impliqué directement dans
le processus de déportation :
-
décret du 27 septembre 1940, comportant une définition
des Juifs et l’obligation de leur recensement ;
-
demande de Stülpnagel à Hitler, le 5 décembre 1941, pour
que soient fusillés 100 Juifs, communistes et anarchistes, et que 1 000 Juifs
et communistes soient déportés à l’Est.
Hitler accepte.
-
décret du 7 juin 1942, instituant le port de l’étoile
jaune.
Même implication dans le processus de décision concernant
Abetz et l’ambassade, (sous l’influence de Ribbentrop), qui militent de leur
côté pour une politique antisémite vigoureuse. Le 18 mars 1942, un
fonctionnaire de l’Ambassade déclare même que la nomination d’un chef
suprême des SS et de la Police en France, (Oberg), aurait un effet
particulièrement favorable sur la " solution
finale " !
L’ambassade " hébergera " d’ailleurs
un temps Dannecker, le premier émissaire d’Eichmann, qui préparera le
programme des déportations juives.
Le BdS de Knochen doit donc faire la synthèse d’au moins
quatre lignes hiérarchiques autonomes, sinon concurrentes, sans compter les
oukases venant directement d’Hitler, par l’intermédiaire de l’OKW de
Keitel. " Le chaos dans les compétences ", comme diront
même certains responsables allemands, avec l’OKW comme arbitre. Ce flou
hiérarchique trouvera son point d’orgue avec la semi disgrâce d’Abetz
rappelé à Berlin de Janvier à Novembre 1943.
La répression de la Résistance et la déportation des Juifs
Parlons d’abord de la répression de la Résistance. L’homme
qui réceptionna Jean Moulin, l’homme qui fut le supérieur hiérarchique d’Aloïs
Brunner, (responsable des déportations juives), l’homme qui décida du nombre
d’otages à fusiller à Bordeaux en septembre 1942 avec Dohse, (son
représentant en Gironde), l’homme qui terrorisa la France durant quatre ans
se nomme Karl Boemelburg. Il a été totalement ignoré durant le procès Papon.
S’il ne fallait retenir qu’une incongruité, ce serait
celle-là : dix sept ans d’instruction, six mois de procès sans nommer
une seule fois le nom du chef de la Gestapo, le fondé de pouvoir de Müller,
Müller qui annotait au crayon rouge les compte rendus d’Eichmann sur les
déportations juives. (Cf Hilberg).
On doit bien entendu se poser la question du rôle et de la
responsabilité de la SIPO-SD dans les déportations des Juifs. Cette
responsabilité a été clairement définie par le tribunal de Nuremberg :
" La Gestapo et le SD ont été utilisés pour des
fins définies par le statut, comme des organisations criminelles. Parmi
celles-ci, figurent la persécution et l’exécution des juifs. Le tribunal y
englobe tous les fonctionnaires du RSHA, de même que tous les fonctionnaires
locaux de la Gestapo ".
La définition de Nuremberg est sans ambiguïté : non
seulement le RSHA à Berlin, mais ses délégations nationales ainsi que les
Gestapo nationales et régionales sont les initiateurs et les responsables des
déportations juives.
Après la guerre, les Français ont commencé à s’auto-flageller
en interprétant les seuls documents français, faute de documents allemands.
Les sous-ordres nazis jugés entre 1945 et 1955 ont évidemment saisi la faille
et ont laissé les Français se déchirer entre eux, d’autant plus facilement
que ni Boemelburg ni Müller, les deux responsables majeurs, n’étaient encore
là pour les contredire.
Le général Oberg, dans sa déposition de 1945,
(malheureusement ignorée par l’accusation), avait pourtant explicité les
structures responsables des déportations raciales :
" Le traitement de la question juive était
assuré par le chef de la division IV du RSHA (la Gestapo), par le lieutenant
général de police Müller (à Berlin). Celui-ci donnait ses ordres directement
en court-circuitant la plupart du temps le commandant de la Sicherpolizei et du
SD (BdS), et en s’adressant directement aux chefs de la section IV (Gestapo)
du BdS) ".
" Le camp des Juifs de Drancy, près de Paris,
était placé sous l’autorité du chef de la section IV (Boemelburg) du BdS ".
Cette déclaration confirme bien l’organigramme de la
section IV, où l’on trouve Karl Boemelburg coiffant la Gestapo et Aloïs
Brunner à la troisième place de la hiérarchie.
Le puzzle était en effet éparpillé, et ce fut un casse
tête de le reconstituer, mais le pari fut gagné car, miraculeusement, les
trois documents majeurs dont nous avons parlé, ont survécu.
Au préalable, il nous faut rappeler comment se sont
initiées les déportations juives en France.
- 27 Septembre 1940 : décret comportant une définition
des Juifs et prescrivant leur recensement. (Militärbefehlshaber).
- 18 Octobre 1940 : définition des entreprises juives.
(Militärbefehlshaber)
- 1er Novembre 1940 : aryanisation des
entreprises juives de la zone occupée. (Militärbefehlshaber)
- Début 1941 : ouverture de camps dans le sud de la
France pour les Juifs apatrides.
- Juin 1941 : l’Allemagne déclare la guerre à la
Russie.
- Fin 1941 : création du fichier des Juifs sous la
direction de Dannecker.
- 29 Novembre 1941 : création de l’UGIF.
- 12 Décembre 1941 : arrestation de 750 Juifs à
Paris : Kurt Lischka (adjoint de Knochen) déplore les retards apportés
aux déportations : " c’est une nécessité urgente, sinon
les autorités françaises verraient dans ce retard une faiblesse de la part des
Allemands ".
- Décembre 1941 : l’Allemagne déclare la guerre
aux USA.
- 27 Mars 1942 : premier train à destination d’Auschwitz.
- 5 Mai : Heydrich arrive à Paris pour introniser Oberg
et la nouvelle organisation allemande des polices et des SS. Il annonce à
Bousquet qu’il dispose de suffisamment de trains pour transférer les juifs
apatrides. Le général Kohl, ennemi irréductible des Juifs, et partisan d’une
solution finale annonce à Dannecker,(correspondant d’Eichmann) :
" qu’il lui attribuera toujours le matériel roulant et les
locomotives nécessaires ".
- 3 Juin : deuxième convoi vers Auschwitz.
- 7 Juin : décret obligeant au port de l’étoile
jaune signé par le Militärbefehlshaber.
- 17 Juin : Eichmann prévoit 36 trains de
déportation en juillet.
Le BdS se rend auprès de Laval pour obtenir l’aide de la
police française :
" Les trains sont prêts. Ils doivent être
remplis coûte que coûte. Le problème juif n’a pas de frontières pour nous.
La police doit nous aider, sinon nous procèderons aux arrestations sans faire
de distinction entre les Juifs français et les autres ".
Laval cède pour sauver les juifs nationaux (Mémoires de
Laval), mais accepte que les enfants suivent les parents, comme le demandaient
les familles.
- 4 Juillet 1942. Knochen déclare : " Laval
accepte de faire déporter les Juifs étrangers. Bousquet doit exécuter la
décision. Il est impossible de faire autrement, car Berlin a envoyé des
instructions pour que l’opération soit exécutée par l’armée allemande si
la police française ne le faisait pas ".
- 15 Juillet : un train est annulé à Bordeaux,
protestation indignée d’Eichmann.
- 16-17 Juillet : rafles du " Vel’d’Hiv "
à Paris.
- fin juillet : le conseiller d’ambassade américaine
Tuck proteste par ce que l’on sépare les parents des enfants. Désarroi dans
l’administration française.
- 28 Juillet : Lambert le président de l’UGIF apprend
l’imminence de déportations en zone libre. Il s’en ouvre au président du
consistoire Helbronner qui lui répond : " Si Monsieur Laval
veut me voir, il n’a qu’à me convoquer, mais dites lui bien qu’à partir
du 8 août et jusqu’en septembre je pars en vacances et que rien ne me fera
revenir ".
- Août : 5 000 Juifs ont été déportés et 7 000
arrêtés en zone libre. L’archevêque de Toulouse proteste, ainsi que les USA
et la Suisse.
- 28 Août : Berlin déplore que la France se soit
laissée distancer en matière de
évacuations.
- Août 1943. Röthke, (Gestapo), écrit à Knochen : " Il
n’est plus possible de compter sur l’assistance à grande échelle de la
police française pour les arrestations des Juifs ".
- Septembre 1943 : l’Italie capitule, cette Italie qui
refusait l’internement des Juifs. La réaction du RSHA fut immédiate :
" les mesures nécessaires seront prises, en ce qui concerne les
juifs de nationalité italienne… immédiatement ".
- Décembre 1943 : Bousquet est limogé et Darnand
nommé ministre de l’intérieur avec plein pouvoir sur les polices et la
milice.
- Avril 1944 : Brunner ordonne l’arrestation de
tous les Juifs de nationalité française, " mais il ne faudra pas
en avertir les autorités françaises, de crainte qu’elles ne libèrent les
internés ou les transfèrent avant l’arrivée des Allemands ".
- Juin, août 1944 : les trois derniers convois de
déportés juifs partiront après le débarquement en Normandie. Cette vindicte
incroyable, jusqu’au dernier jour, montre à quel point la solution finale, en
France comme ailleurs, bénéficiait d’une priorité absolue, avant même les
urgences militaires.
Hilberg résume ainsi les déportations en France :
" Le nombre de déportés s’est monté à plus
de 75 000, soit le quart de la population juive présente en 1940. Deux tiers
des déportés étaient des étrangers… il est à remarquer que le pourcentage
d’enfants parmi les déportés fut moins élevé que dans un pays voisin la
Belgique ".
Le chiffre reste terrible, mais la contrainte allemande ne
cherchait pas à masquer une détermination devant laquelle les Français
devaient plier, sous peine de représailles féroces, comme les ont subis les
Italiens et les Hongrois. Dans ces deux pays, les atermoiements ont semblé
réussir jusqu’en 1943 et1944, mais le RSHA exaspéré, s’est alors livré
aux pires atrocités. Le " y a qu’à, faut qu’on ", qui
fleurit dans les bonnes âmes des censeurs français des année 1990, s’exprime
d’autant plus facilement qu’ils n’ont pas vécu l’époque, ce qui n’était
pas le cas de leurs anciens, risquant chaque jour de se trouver déportes ou
fusillés. Cette contrainte absolue et ce chantage aux exécutions, seront
analysés en détail.
© Hubert de Beaufort, Paris 2001