Hubert de Beaufort         Le Livre Blanc      
                Une étude exhaustive de l'histoire de l'occupation de Bordeaux
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7- L’organisation des déportations juives

Déposition du général Karl Oberg, (Höher SS und Polizeiführer),
Chef suprême des SS et des polices en France
(entre mai 1942 et juillet 1944) (1)

    Nous avons fait traduire la longue déposition, (90 feuillets), de Karl Oberg, faite en 1945 lors de son arrestation en Allemagne : elle nous fut communiquée par le Centre Jean Moulin de Bordeaux. Nous présentons l’annexe 15 traitant de la déportation des Juifs. Cette annexe définit fort clairement la ligne hiérarchique responsable des déportations juives : d’abord le Reichsführer SS Himmler, puis la Gestapo à Berlin avec Müller et Eichmann, ensuite la Gestapo à Paris avec Boemelburg et Brunner, enfin les antennes régionales de la Gestapo, (KdS).

    " Le traitement de la question juive, relevant de la compétence du Reichsführer SS Himmler, était assuré par le chef de la division IV, (Gestapo), du RSHA : le lieutenant général de police Müller. Celui-ci donnait ses ordres directement, en court-circuitant la plupart du temps, le commandant de la Sicherpolizei et du SD et en s’adressant aux chefs de la section IV du BdS, (Boemelburg à Paris).

    Déjà avant mon arrivée en mai 1942, l’introduction en zone occupée du port de l’étoile pour les Juifs avait fait l’objet de discussions entre Knochen et le commandement militaire. Après une conférence avec le secrétaire général Bousquet, la publication de l’ordonnance intervint en juin juillet 1942. Sa mise en œuvre ne souleva aucune difficulté, on nota un fort mouvement migratoire de Juifs qui passèrent la ligne de démarcation, de la zone occupée vers la zone libre. Ce mouvement se poursuivit plus tard, (après l’occupation de la zone libre par les troupes allemandes), vers la partie de l’ex-zone libre occupée par les Italiens, parce que les Juifs craignaient que, désormais, le port de l’étoile jaune soit imposé dans la partie de la zone libre occupée par les troupes allemandes.

    Le camp des Juifs de Drancy, près de Paris, était placé sous l’autorité du chef de la section IV du BdS, (Boemelburg). C’était un camp de regroupement et de transit à partir duquel étaient mis en œuvre les transports par voie ferrée vers l’Allemagne et vers l’Est. Le BdS était responsable de la surveillance jusqu’à la frontière franco-allemande, le RSHA prenant ensuite le relais.

    Pendant mon séjour de deux ans et demi, je suis intervenu quatre fois dans les questions juives :

    – la première fois pour obtenir l’exemption du port de l’étoile pour trois Juives, à la suite d’une intervention du Maréchal Pétain et de M. de Brinon;

    – la deuxième fois il me fallut, sur ordre express du RSHA, au printemps 1943, avoir un entretien personnel avec le président Laval, afin d’obtenir que le gouvernement français entreprenne de nettoyer la zone libre des Juifs. Le président Laval me répondit que cela était déjà en cours depuis un certain temps. Il me dit, à titre d’exemple, qu’il n’y avait plus aucun Juif dans les ministères. Il dit qu’il refusait la déportation vers l’Est des Juifs de nationalité française, mais qu’il était prêt en revanche à déporter les Juifs d’autres nationalités, et en premier lieu les Polonais.

    Quant aux Juifs roumains, bulgares et autres, il ne les déporterait qu’avec l’accord des gouvernements en exercice. J’ai fait part de cette réponse et n’ai pas reçu d’autres ordres....

    Les deux autres interventions touchaient des cas particuliers.

    Lors de mon arrestation à Wiesbaden par un lieutenant-colonel français, il m’a été demandé si j’avais eu connaissance de ce qui était arrivé aux Juifs dans les camps de l’Est ? J’ai répondu " oui " à cette question.

    À la question suivante qui était : si j’avais été d’accord avec cette mesure ? J’ai répondu "non ". À la troisième question : pourquoi ne m’étais-je pas tiré une balle dans la tête, si je n’étais pas d’accord avec cette mesure ? J’ai répondu qu’en tant qu’officier en temps de guerre, je ne pouvais pas me suicider, si je n’étais pas d’accord avec un ordre donné ou une mesure prise par mes supérieurs."

1- Document communiqué par Madame Pomiès, Conservateur du Centre Jean Moulin à Bordeaux. L’original allemand est présenté en annexe.

NB : La direction et la gestion des camps de déportations et d’extermination étaient assurées par une entité administrative spécifique, indépendante du RSHA : le WVHA, (Bureau principal SS de l’administration et de l’économie), dépendant directement d’Himmler et dirigée par Pohl. (Réf : Hilberg, p 177).

Traduction © Hubert de Beaufort, Paris 2001