Hubert de Beaufort         Le Livre Blanc      
                Une étude exhaustive de l'histoire de l'occupation de Bordeaux
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6- François Mitterrand, Président de la République parle.

 La première contre enquête avait fait connaître le jugement de F. Mitterrand recevant à l’Elysée, le 13 juillet 1988, une délégation de l’association Résistance, Vérité, Souvenir (1). Elle s’était contentée de rappeler la conclusion du président de la République :

" Cette affaire lui apparaît comme un règlement de compte politique, méthode qu’il condamne, car il est bien surprenant que l’on ai mis près de quarante ans à découvrir la prétendue culpabilité d’un homme ayant occupé durant toutes ces années les diverses fonctions administratives ou électives qu’ont été celles de Maurice Papon. Selon lui des procédures d’instruction aussi longues étaient attentatoires à la démocratie et il s’entretiendra de cette affaire avec le Garde des Sceaux, afin que celui-ci mette de l’ordre dans ce dossier ".

En réalité le compte rendu est beaucoup plus explicite et riche d’enseignements.

1 – L’objet de la demande d’audience : informer le Chef de l’Etat du dossier " Papon " et lui demander de bien vouloir, dans le cadre de ses compétences, faire mettre un terme définitif à ce dossier qui traîne depuis sept ans (nous sommes en 1988).

2 – La composition de la délégation :

. Maurice Bourgès-Maunoury, ancien président du Conseil qui fut commissaire de la République à Bordeaux.

. Jacques Soustelle, ancien ministre, qui dirigea les services spéciaux du gouvernement d’Alger et fut lui même Commissaire de la République à Bordeaux.

. Gaston Cusin, premier Commissaire de la République à Bordeaux.

. Jean Morin, ancien préfet, qui fut le directeur du personnel au ministère de l’Intérieur à la Libération.

. Charles Verny, avocat, vice-Président du Comité d’Action de la Résistance.

3- L’analyse de ces grands Résistants au dessus de tout soupçon :

" Aucun fait n’a été relevé à l’encontre de Maurice Papon par la commission d’épuration "

" Rien, à la Libération, période où les dénonciations de tous ordres allaient bon train, n’avait été reproché à Maurice Papon ".

" Maurice Papon avait activement participé à la Résistance et c’est en fait, sur les instructions diffusées depuis Londres, qu’il était resté en fonction ".

" Au bout de six années d’instruction, l’ensemble de la procédure a été annulée pour vice de forme par la Cour de Cassation. Tout doit donc être repris depuis le début ".

 Gaston Cusin insiste auprès du chef de l’Etat pour que les choses aillent vite… car les principaux témoins vieillissent et disparaissent…

Jacques Soustelle insiste sur la durée de l’instruction qui est maintenant dans sa septième année… Il a rappelé au chef de l’Etat que la Cour de Justice européenne avait indiqué qu’une période de cinq ans devait être considérée comme un maximum pour une instruction criminelle.

 Cette audience auprès du chef de l’Etat, le plus haut personnage de la République, a eu lieu en 1988 alors que le procès n’a débuté qu’en octobre 1998, soit dix ans plus tard. L’instruction aura duré dix sept ans et malheureusement ces grands témoins illustres étaient presque tous morts : Maurice Bourgès Maunoury, Jacques Soustelle, Gaston Cusin, Charles Verny… et François Mitterrand. Que signifie un procès sans leur témoignage ?

 F. Mitterrand, le témoin engagé des années 1942 – 1944

 Que savait, que pouvait, que fit François Mitterrand entre 1942 et 1944 ?

Il est possible d’apporter à cette question quelques solides éléments de réponse, car Guy de Beaufort s’installe à Vichy en 1942 avec sa famille. C’est un des fondateurs de l’ORA et il est en poste à l’Etat major de l’amiral Darlan : son fils fait ses études au lycée de Vichy situé en face de l’Hôtel du Parc. Les élèves suivent les allées et venues des visiteurs et restent perplexes lorsque la voiture de l’ambassadeur des USA, l’amiral Leahy, stationne devant le siège du gouvernement.

La famille Beaufort travaille dans plusieurs réseaux de résistance : Guy à l’ORA, Alain au BCRA de Londres, Jacques dans son maquis breton, Pierre Lejeune, (leur cousin germain), lui aussi à Londres, mais au SOE britannique.

Pierre Péan explique en détail comment Mitterrand, durant l’année 1942 prend la température politique de Vichy pour tenter de savoir dans quel sens il peut orienter sa carrière. Le commissariat aux prisonniers lui fournira la plate-forme qui orientera progressivement ses décisions. Concernant le problème juif ses réactions sont identiques à celles de la plupart des fonctionnaires informés :

" On ne s’intéressait qu’au sort des prisonniers et des évadés, et puis après, à la lutte contre l’occupant ". (Entretien avec Péan du 26 mai 1994).

Nous confirmons cette analyse : jamais les déportations des Juifs n’ont été évoquées au cours des conversations entendues durant cette période. Elles semblaient secondaires par rapport à l’objectif de la Résistance : gagner la guerre.

Ce qui est sûr par contre, c’est que ses multiples contacts fournissent à F. Mitterrand la clef d’un départ pour Londres : il lui faut le double feu vert d’Alain de Beaufort, responsable des transferts aériens pour le compte du BCRA, et de Pierre Lejeune, son cousin germain, homme de confiance du SOE et du général Giraud.

Par des voies encore ignorées aujourd’hui, la famille Beaufort voit arriver un jour de 1943, à leur domicile de la rue de Roumanie, un homme jeune et décontracté demandant à voir Hélène de Beaufort, qui servait de boite aux lettres pour son beau-frère Alain. Méfiante, elle promet de faire la commission, et elle la fait quelques jours plus tard sans aménité : "Alain, un type est venu pour te voir, cela ne me semble pas sérieux ". C’était compter sans la ténacité de François Mitterrand qui passera régulièrement pour renouveler sa demande.

Au bout de quelques semaines, Alain acceptera de le rencontrer : ils avaient le même âge et manifestement ils ont sympathisé. Ils partaient deviser dans le Parc et la persuasion de Mitterrand dut réellement être grande, car finalement, malgré la rareté des Lysander, il partira pour Londres et sera réceptionné par P. Lejeune qui assurera son transfert à Alger.

La rencontre des deux hommes aura été brève, car le destin d’Alain sera tragique : traqué par la Gestapo, il sera torturé et fusillé en juillet 1944. Après la guerre, le général de Gaulle viendra se recueillir sur sa tombe et remettre à sa mère la médaille de Compagnon de la Libération. Quant à Guy de Beaufort, il deviendra chef du cabinet militaire en 1958, du premier Président de la Vème République.

Plusieurs destins se sont croisés et la guerre a fait son œuvre. En écrivant ces lignes, on est atterré de constater la partialité des accusations, face à l’histoire réelle de ces sinistres années 1940-1944. La guerre, ses drames, ses morts, la Résistance, tout cela a disparu : ne subsiste que la Shoah. Qu’aurait dit l’accusation, si Maurice Papon avait prononcé la phrase de Mitterrand rapportée par Péan :

" On ne s’intéressait qu’au sort des prisonniers et évadés, et puis après, à la lutte contre l’occupant ".

Faut-il ajouter que la Préfecture de Bordeaux avait malheureusement d’autres centres de préoccupation : ravitailler une agglomération qui croulait sous les réfugiés, limiter les exécutions d’otages, les déportations politiques, les déportations raciales, assumer les conséquences des bombardements. En un mot faire face à la guerre.

 
François Mitterrand et le MNPGD
(Mouvement National des Prisonniers de Guerre et Déportés)

François Mitterrand fut en effet vice-président du MNPGD, sigle barbare qui recouvre la dénomination : " Mouvement national des prisonniers de guerre et déportés ". Mouvement qui fait parti du Conseil National de la Résistance (CNR et qui veut soutenir les prisonniers, leurs familles, les évadés et les déportés. Nous sommes en Mars 1944, à quelques mois de la Libération et pourtant, ni le MNPGD, ni François Mitterrand ne sont alertés par les déportations des Juifs. François Mitterrand, fin politique s’il en est, qui a côtoyé l’administration de Vichy durant deux ans, n’a toujours pas conscience en 1944 du drame qui se joue à Auschwitz : les déportations recouvrent pour lui une forme de camp de prisonniers et la notion de génocide lui est étrangère.

Comment le génocide pourrait-il être imaginé à Bordeaux par un sous-préfet qui n’a pas accès à l’information, alors qu’il ne fait l’objet d’aucun débat au CNR, à Alger et à Londres ?

Malheureusement, il faut reconnaître que le MNPGD sera d’abord le MNPG, l’association des prisonniers de guerre, qui représente deux millions d’hommes (en comptant le STO), deux millions de futurs électeurs, alors que le D comme déportés, ne touche que 100 000 personnes, puisqu’une grande partie d’entre elles sont mortes….

Avant même la Libération, chacun pense déjà aux élections ! On ne répètera jamais assez que les internements et départs en Allemagne touchaient plusieurs catégories de Français : les prisonniers de guerre, les travailleurs forcés du STO, les déportés politiques, les déportés juifs . Les Français devaient en outre faire face aux bombardements, aux arrestations, aux exécutions, sans compter la hantise du ravitaillement.

Notre époque focalisée sur l’humanitaire, reconstruit une nouvelle guerre dont le déroulement devient un phénomène accessoire par rapport aux déportations des Juifs. Certes François Mitterrand n’avait pas la connaissance d’Auschwitz, mais il ferait certainement sienne la réflexion d’Yves Guéna sur la contre enquête : " Comme si la seule façon de mettre fin à l’holocauste, n’était pas de gagner la guerre ".  

François Mitterrand s’est d’ailleurs clairement exprimé sur le cas des hauts fonctionnaires de Vichy, en prenant l’exemple de Bousquet, au cours d’une interview avec Olivier Wieviorka, en janvier 1993 :

" Bousquet est un haut fonctionnaire qui a été pris dans un engrenage….Il constitue le prototype de ces hauts fonctionnaires qui ont été compromis ou se sont laissé compromettre. Jusqu’à quel degré…. Là il fallait en juger. Cela a été jugé, d’ailleurs, après la guerre. Quarante cinq ans après, ce sont des vieillards. Il ne reste plus beaucoup de témoins et cela n’a plus guère de signification… on ne peut pas vivre tout le temps sur des souvenirs et des rancœurs ".

Que dire de Maurice Papon, qui n’était pas haut fonctionnaire entre 1942 et 1944, et dont le procès a eu lieu en 1998 !

 Une réponse partielle parvient de façon indirecte par le biais de Jean d’Ormesson faisant état d’une conversation avec François Mitterrand qui s’est tenue le 17 mai 1995 : " vous constatez là, l’influence puissante et nocive du lobby juif en France ".

Mitterrand n’a jamais été antisémite, mais semble déplorer l’extrémisme de certains lobbies juifs. Il n’aurait jamais admis le procès fait à Maurice Papon et s’était d’ailleurs nettement exprimé en 1988 en considérant ce procès indigne de la démocratie.

Peut-on imaginer, François Mitterrand, Président de la République, acceptant le comportement d’un Arno Klarsfeld, tel que lui-même se décrit dans son dernier ouvrage : " La Cour, les nains et le bouffon " ? 

Ce n’est pas imaginable.

 (1) Document complet présenté dans "la  contre enquête ", éditions François Xavier de Guiber

© Hubert de Beaufort, Paris 2001