Adrien Marquet est né à Bordeaux, le six octobre 1884, au
104 cours Victor Hugo, maison qu’il a toujours habitée en compagnie de ses sœurs.
Enfant, il fit ses études à l’école primaire de la rue Paul Bert avant d’entrer
au lycée et d’entreprendre ses études dentaires. En 1903 il reçoit son
diplôme de chirurgien dentiste et s’inscrit alors au parti socialiste où il
milite activement.
En 1912 il est élu conseiller municipal, mais la guerre
éclate et il est mobilisé. Les élections de 1919 sont défavorables aux
socialistes : ce ne sera qu’en 1924 que Marquet prend sa revanche en
conquérant un siège de député. Dans la foulée, il sera élu maire de
Bordeaux en 1925, poste qu’il conservera 19 ans, jusqu’en 1944.
Au congrès du parti socialiste de 1933, il s’oppose à
Léon Blum en réclamant des crédits supplémentaires pour l’armée avec 28
collègues socialistes. Les parlementaires dissidents sont alors exclus du parti
et constituent le " parti socialiste de France ".
Daladier lui offrira le portefeuille des Travaux Publics qu’il
refuse et Gaston Doumergue lui proposera le ministère du Travail qu’il
accepte. Flandin, qui succède à Doumergue, le sollicite pour prendre en charge
le ministère de la Guerre : Marquet décline l’offre, estimant ne pas
avoir la compétence nécessaire.
Concernant la politique bordelaise, c’est alors la
confusion avec trois fédérations socialistes rivales. Malgré tout, Marquet
est réélu député et maire en Mai 1936. En Juin 1939, il rencontrera le
président Roosevelt et la commission des affaires étrangères du
Congrès : il saisit ce que signifie la puissance américaine, et en est
impressionné.
La guerre arrive puis la débâcle, Bordeaux est submergé
par les réfugiés… et par le gouvernement de Paul Reynaud. Le 27 Juin 1940,
Marquet est sollicité par le Maréchal Pétain, pour prendre le ministère de l’Intérieur,
poste qu’il conservera deux mois et demi, jusqu’au 10 septembre. En Avril
1942, Laval lui offre un portefeuille de son choix : il le refuse.
Cette courte biographie dévoile assez bien la personnalité
de Marquet :
- un attachement viscéral pour sa ville de Bordeaux joint à
une intégrité reconnue ;
- des préoccupations sociales qui l’amèneront à militer
ardemment pour le parti socialiste ;
- le rejet du pacifisme qui le fera rompre avec Léon
Blum ;
- le réflexe d’obéissance qui le verra accepter le
régime de Pétain et la collaboration ;
- un sentiment anti-allemand qui se renforcera de 1940 à
1944 ;
- le souci permanent de défendre ses concitoyens, Juifs
compris ;
Enfin, en Août 1944, il œuvrera avec ténacité pour
obtenir un retrait pacifique des Allemands de Bordeaux, et il y parviendra.
On peut résumer le parcours d’Adrien Marquet par cette
phrase : un homme honnête et courageux qui a commis de très graves
erreurs politiques.
Notre enquête ne vise, ni à approfondir la personnalité d’Adrien
Marquet, ni à étudier son action politique à Vichy ou à Bordeaux, mais à
saisir les interactions de la mairie avec la Préfecture, face à la contrainte
allemande et face au problème de la déportation des Juifs.
Il faut d’abord rappeler qu’Adrien Marquet sera en lutte
ouverte avec le prédécesseur de Sabatier à la Préfecture, Pierre-Alype,
collaborateur notoire, entièrement soumis à son directeur de cabinet, Georges
Reige, qui " travaillait " la main dans la main avec Hagen
(chef du Sonderkommando SS) et avec le sinistre commissaire Poinsot qui traque
alors les communistes avant de faire la chasse aux gaullistes.
Une remarque importante en passant : entre 1940 et 1942,
le numéro deux de la Préfecture, unanimement reconnu comme tel par les
Bordelais et par les Allemands, n’est donc pas le secrétaire général, mais
le directeur de cabinet Reige. Après le départ de Pierre-Alype remplacé par
Sabatier, la fonction de directeur de cabinet sera exercée par Chapel. Dans
l’administration, la définition des fonctions ne dépend pas du bon vouloir
des préfets, elle est statutaire. C’est la raison pour laquelle le
service du chiffre est placé sous l’autorité du chef de cabinet et non sous
celle du Secrétaire Général.
Qui se souvient du prédécesseur de Maurice Papon :
Delannet, le secrétaire général de Pierre-Alype ? Ses fonctions sont
rappelées dans le rapport bleu des experts, mais personne ne l’a cité durant
le procès !
Concernant le problème juif, Marquet tentera d’aider et de
prévenir la communauté autant qu’il le pouvait, sans provoquer ouvertement
les Allemands. Trois témoignages de personnalités juives sont à retenir.
Le témoignage du Grand Rabbin de Paris, Julien Weill :
" Pendant l’occupation, lors du danger qui
pesait - oh combien ! –sur la communauté juive, eh bien, Monsieur
Marquet a fait tout son possible pour, d’une part, donner des conseils de
prudence à mes coreligionnaire, leur conseillant de faire le possible pour se
dérober aux persécutions, et se cacher ou tâcher de s’en aller, et d’aller
habiter ailleurs en lieu sûr. ..
Je crois que, vraiment, il a été, à bien des égards, une
protection pour les coreligionnaires et qu’il a pu ainsi, peut-être,
contribuer au salut de plus d’un. J’ai eu l’impression que Monsieur
Marquet était, parmi les personnes qui ont eu à jouer un rôle pendant les
dures années d’occupation, un de ceux qui ont, peut être, sur ce point, fait
ce qui était possible ".
Le témoignage du Grand Rabbin de Bordeaux, Joseph
Cohen :
" Etant resté à mon poste jusqu’au 17
Septembre 1943, date à laquelle je fus arrêté par la Gestapo, j’avais eu
pendant les années d’occupation, de fréquents contacts avec Mr Adrien
Marquet et je n’ai eu qu’à me louer des faits et gestes de celui-ci, tant
à mon égard qu’à l’égard de mes coreligionnaires….
Pressentant mon arrestation imminente, je me suis rendu à la
mairie, pour demander à Monsieur Marquet ce qu’il pouvait faire en cas de
malheur. Monsieur Marquet me répéta ce qu’il n’avait jamais cessé de
répéter à mes coreligionnaires : Partez ! Partez !
Partez !..
Je n’ai pas suivi le conseil prudent qu’il m’avait
donné et j’ai fait connaissance du chef de la Gestapo venu personnellement
chez moi pour me prendre, ainsi que le malheureux personnel qui était à mon
service. Si par miracle, je n’avais pas réussi à leur fausser compagnie, je
ne compterais plus aujourd’hui parmi les vivants d’ici-bas ".
Le témoignage de M. Astruc, conservateur du musée d’art
ancien :
" Lors de l’occupation allemande, malgré
Vichy et les persécutions contre les Juifs, j’ai pu, grâce à lui, demeurer
de 1940 à 1944, dans le musée d’art ancien dont j’étais le conservateur.
J’y suis resté logé et caché, sous la protection du
maire de Bordeaux et je n’ai pas été inquiété. C’est à Adrien Marquet
que je dois de n’avoir pas subi, comme mes coreligionnaires, les persécutions
dont ont souffert les Israélites ".
Nous retrouvons chez tous les responsables de la Préfecture
et de la mairie de Bordeaux, les mêmes comportement vis à vis des
déportations: " partez, partez, partez ".
Malheureusement, comme l’avoue le grand Rabbin Cohen :
" Je n’ai pas suivi le conseil prudent qu’il
(Marquet), m’avait donné ".
Tous ces témoignages concordent : celui du Préfet
Sabatier, celui de Duchon, l’Intendant de police, celui de Bignon le neveu de
Sabatier, celui d’Astruc, le conservateur du musée d’art ancien, sans
oublier les nombreuses déclarations du Grand Rabbin Cohen lui-même.
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