Hubert de Beaufort         Le Livre Blanc      
                Une étude exhaustive de l'histoire de l'occupation de Bordeaux
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1- L’amiral Leahy : ambassadeur des USA à Vichy (1940-1942)

L’amiral William Daniel Leahy est né en 1875.

En 1915, il fait connaissance de Roosevelt et leur amitié durera plus de 40 ans.

Entre 1937 et 1939, il assume la direction des opérations navales au Pentagone.

En 1940, il atteint l’âge de la retraite (65 ans).

En Janvier 1941, il est nommé par le président Roosevelt ambassadeur des USA à Vichy, auprès du Maréchal Pétain : il y restera jusqu’en Mai 1942. A partir de cette date, les USA ne seront plus représentés que par le conseiller d’ambassade Tuck qui restera en poste jusqu’en Novembre 1942, date du débarquement allié en Afrique du Nord.

En Juillet 1942, l’amiral Leahy est nommé chef du cabinet militaire inter armes du président Roosevelt et il participe à la conférence de Yalta.

En Décembre 1944, il est nommé amiral de la Flotte.

Daniel Leahy prend sa retraite définitive en 1949 et meurt en 1959.

Cette courte biographie introduit la période allant de Juin1940 à Novembre 1942, durant laquelle l’amiral Leahy et son adjoint Tuck joueront à Vichy le rôle d’observateur privilégié du régime du maréchal Pétain. La présence d’un ambassadeur extraordinaire était en effet lourde de signification :

1- Le président américain envoie auprès du maréchal, non pas un diplomate banal, mais un proche et un fidèle qui tiendra à partir de juillet 1942 le poste clef de chef du cabinet militaire inter armes de Roosevelt à Washington.

2- Roosevelt joue à fond jusqu’en Mai 1942 et officiellement jusqu’en Novembre, la carte Pétain. L’administration de Vichy comme les ambassades étrangères constatent que les Etats Unis gardent, durant cette période, leur confiance au vainqueur de Verdun. Rappelons en outre que les Allemands ont pourtant déclaré la guerre aux USA depuis Décembre 1941. Durant cette période paradoxale qui durera presque un an, les audiences hebdomadaires de l’ambassadeur américain à l’Hôtel du Parc sont étudiées à la loupe. Le stationnement de la voiture de l’amiral Leahy, avec son fanion déployé, faisait fantasmer les Vichyssois, l’administration, les fonctionnaires, le corps diplomatique… et la Gestapo. Les déclarations officielles et officieuses américaines étaient donc reçues comme parole d’évangile. Dans un tel contexte on conçoit la perplexité des fonctionnaires français et même des Résistants, dont beaucoup calqueront leur comportement sur celui des Américains dont ils observent les réactions.

3- Concernant les déportations des Juifs, rappelons que la " solution finale " n’est comprise ni par les Américains, ni par l’ambassade. Certes les USA vont critiquer les convois de déportés, mais le conseiller Tuck, qui remplace l’amiral Leahy… va élever une protestation officielle en août 1942, auprès des autorités françaises, contre le fait que l’on sépare les enfants des parents. On conçoit la perplexité et le désarroi d’une administration française, qui, même lorsqu’elle est favorable à la Résistance et désire aider les Juifs, constate la réaction américaine.

Ce qui paraît encore plus significatif dans les priorités américaines durant les années cruciales, 1941-1942, ce sont les lettres et directives échangées entre Daniel Leahy et le président Roosevelt. Nous possédons 22 échanges de correspondance qui se sont étalés du 25 Janvier 1941 au 3 Avril 1942.

- Juillet 1941 : " les Gaullistes déclarés que j’ai rencontrés, ne me paraissent posséder ni la stabilité ni l’intelligence, ni l’importance sociale dans leurs collectivités, qui seraient nécessaires pour leur assurer le succès ".

- Novembre 1941 : " les Allemands réclament au Maréchal des bases et la Flotte. S’il s’obstine, ils menacent d’occuper la France entière, de faire vivre l’armée d’occupation sur le pays et de laisser la population mourir de faim… il paraît nécessaire de renoncer à insuffler une certaine énergie à un aboulique (le Maréchal) ".

Que pense Daniel Leahy de l’amiral Darlan et du général de Gaulle ?

Sur Darlan : " Il essayait de marcher sur la corde raide entre les pouvoirs existants… il avait compris que les USA l’emporteraient sur Hitler et il passa de notre côté en un moment bien critique… Cette évolution fut réduite à néant par la balle d’un assassin ".

Sur de Gaulle : " Comme Laval et Darlan, il n’aspirait qu’au pouvoir. Je constatai qu’il était devenu l’idole des soi-disant libéraux… son mouvement paraissait ne causer que des ennuis aux Alliés ".

En Février 1942, le président Roosevelt s’exprimait en ces termes auprès de son ambassadeur :

" Le Conseil interallié estime que le fait d’occuper la place, comme vous le faites, est une mission militaire aussi importante que beaucoup d’autres… Notre présence en France et en Afrique du Nord… contribue à sauvegarder la sécurité de la péninsule ibérique ".

De son côté Leahy écrit : " Pour les Résistants présents dans l’administration, mais pour les USA aussi, il s’agit de tenir sur place, coûte que coûte, et d’attendre le débarquement : "100 000 anciens soldats, résidants en zone non occupée n’attendent qu’une occasion de se battre ". (Il s’agit des troupes et matériels dissimulés et préparés par l’ORA en cas de débarquement en Provence).

Le 18 Avril, les évènements se précipitent : l’amiral Darlan est écarté, Laval revient au pouvoir. L’amiral Leahy est rappelé à Washington pour consultation, mais son épouse décède le 21 Avril. Avant son départ, l’amiral reçoit trois visites : celle de Herriot, celle de Laval, celle de Darlan, et il rencontre une dernière fois le Maréchal qui l’assure de son amitié pour les USA.

De retour à Washington, il militera pour le maintien des relations diplomatiques avec Vichy et jugera avoir réussi trois missions majeures :

- la flotte française restait inaccessible à l’Axe ;

- Hitler ne recevait aucune aide appréciable de le France non occupée ;

- Les bases de la côte africaine restaient sous contrôle français.

Roosevelt le félicitera le 20 Juillet 1942 en ces termes : " Mission bien exécutée ", et décidera le maintien d’un chargé d’affaires à Vichy, Pinckney Tuck, jusqu’en Novembre 1942.

Aucune trace ne subsiste, ni de la connaissance du génocide, ni d’interventions de l’amiral Leahy, concernant les déportations des Juifs. Aucune information, aucune instruction n’est donnée à son successeur Tuck sur un sujet considéré comme mineur. La politique américaine auprès des fonctionnaires de Vichy restera inchangée jusqu’au bout : " vous devez tenir et rester ". Cela n’est pas facile à admettre, mais jusqu’en Décembre1942, Washington privilégie clairement le régime de Vichy par rapport à la France libre… qui donnera d’ailleurs elle aussi les mêmes consignes de " maintien sur place " à l’administration de Vichy. Pour Daniel Leahy, l’amiral Darlan apparaît comme l’homme politique français sur lequel les Etats Unis doivent s’appuyer en priorité.

Attitude qui se perpétuera, car après le débarquement américain en Afrique du Nord, l’amiral Leahy, devenu chef du cabinet militaire du président Roosevelt, pèsera de son influence pour que son homologue Darlan reste l’interlocuteur privilégié de Washington.

Concernant les déportations raciales, certes elles sont connues, mais aucun responsable n’imagine leur sinistre finalité. Quant à l’administration et aux fonctionnaires, la consigne que donne la Résistance à Londres, par la voix du colonel Tissier, est sans équivoque : rester à son poste. Chacun doit tenter de résister sur place dans la mesure de ses moyens avec comme objectif prioritaire : " gagner la guerre ".

© Hubert de Beaufort, Paris 2001