Hubert de Beaufort         Le Livre Blanc      
                Une étude exhaustive de l'histoire de l'occupation de Bordeaux
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© Hubert de Beaufort, Paris 2001

6- Interview d’Helmut Knochen, effectuée en juin-juillet 2000

par Hubert de Beaufort et J. Ph Larrose

Cette interview a pu avoir lieu grâce à un personnage étonnant : Jean Philippe Larrose, professeur agrégé d’allemand, qui s’est révélé durant cette année 1999, où ses souvenirs ont été réveillés au cours de longues conversations. Jugeons plutôt.

- Il fut le témoin privilégié du Bordeaux occupé des années 1940-1944, en tant qu’interprète des autorités universitaires et du maire Adrien Marquet : il a vécu les drames de l’Occupation dans une capitale provinciale ;

- A l’Université de Göttingen, durant les années 1932-1933, il fut le condisciple de l’étudiant Helmut Knochen, qui deviendra en 1940 le tout puissant chef des polices allemandes en France. Le jeune interprète bordelais sera alors amené à connaître les grands responsables de l’époque comme le général Oberg, Abetz, de Brinon.


Adhérant au souci d’Hubert de Beaufort de comprendre le fonctionnement des organisations allemandes durant la guerre, Larrose demande un jour : " Voulez vous que nous prenions contact avec Helmut Knochen ? ". Devant la stupéfaction de son interlocuteur, il raconte que Knochen est toujours vivant et que leurs relations d’amitié restent intactes depuis 70 ans. Quelque minutes plus tard, la voix de l’ancien chef du BdS retentit au téléphone. Au cours des mois suivants, un dialogue s’établit petit à petit, et un an plus tard, Jean Philippe Larrose annonce à Hubert de Beaufort que Knochen accepte une rencontre.

Rendez vous est pris le 15 Juin 2000 à l’Hôtel Sheraton de Francfort : deux heures d’échanges fructueux seront suivis de plusieurs entretiens approfondissant les points de vues échangés. La préparation bibliographique avait permis de comprendre que Knochen se situait dans une position, tant hiérarchique que politique, inhabituelle. C’était en effet un intellectuel brillant qui avait présenté une thèse de philosophie sur le dramaturge anglais George Colman et il ne paraissait pas crédible que sa vision de la guerre ait été limitée aux seuls drames qu’il avait vécus ou initiés.

Dans cette optique, un long questionnaire, portant sur la guerre avec ses différentes phases et sur l’Occupation, lui fut soumis. Le questionnaire portait aussi sur les personnalités que Knochen avait rencontrées : Hitler, Goering, Himmler, Heydrich, Oberg, Pétain, Laval, Bousquet, Darnan, etc… En un mot, il fallait comprendre l’occupation vécue du côté allemand, à partir d’un témoignage exceptionnel.

D’emblée, le récit par Knochen concernant son intronisation par Heydrich en mai 1942, puis sa conversation avec celui que l’on présentait comme le dauphin du IIIème Reich, s’est révélée riche en révélations.


Hubert de Beaufort

" En Octobre 1939, vous êtes décoré de la croix de fer par Hitler lui même, à la grande chancellerie du Reich à Berlin, à la suite de l’arrestation d’espions anglais que vous avez intoxiqués. Vous devenez un héros national. Quelle impression vous a fait Hitler ? " 

H. Knochen

Le cérémonial de la chancellerie était impressionnant. Quant à Hitler, il était au sommet de son prestige et personne ne le contestait en Allemagne. Son magnétisme me subjuguait, moi comme les autres ".

H. de B

" En Juin 1940, vous êtes envoyé à Paris avec une équipe chargée de collecter des renseignements politiques et économiques, vous n’avez pas encore de fonctions policières : elles sont exercées par la Wehrmacht. Mais en 1942, tout change : le 5 Mai, Heydrich vient à Paris mettre en place la nouvelle organisation des polices allemandes en France. Le général Oberg, âgé de 45 ans, est nommé chef suprême des polices et des SS en France et vous devenez chef du SD, (police de Sécurité), qui coiffe la Gestapo. Comment cela se passe t-il ? " 

H. Knochen

Heydrich officialise en effet les nouvelles structures et le 5 Mai 1942, nous sommes présentés à Laval, aux ministres de Vichy et à Bousquet. A cette occasion, Heydrich passera une semaine dans la capitale française. Il accepte la demande de Bousquet qui réclame avoir autorité sur tous les services de police. Son diagnostic est clair : "La seule personnalité qui possède à la fois jeunesse, intelligence et autorité, c’est Bousquet. Sur des hommes comme lui, nous pourrons préparer l’Europe de demain, une Europe très différente de ce qu’elle est aujourd’hui ".

H. de B

" Qu’a t-il fait à Paris durant ces huit jours ? "

H. Knochen

Il a vu beaucoup de monde et il aimait Paris, les soirées et les femmes.

Mais je vais vous relater un événement dont je n’ai jamais parlé. A la fin de son séjour, Heydrich me prend à part et me fait une confidence qui m’a stupéfié et que je peux aujourd’hui révéler :

" Knochen, la guerre ne peut plus être gagnée, il faudra trouver une paix de compromis et je crains qu’Hitler ne puisse l’admettre. Il faut y réfléchir ".

" Manifestement, il voulait revenir à Paris quelques semaines plus tard et prendre des initiatives. Concernant le régime, il semblait envisager un complot.

Lui seul avait les capacités et le pouvoir pour agir, alors que le complot du 20 juillet 1944 s’est révélé un travail d’amateurs voué à l’échec.

Pour moi, Heydrich était le dignitaire du parti le plus intelligent et, en dehors de lui, il n’y avait personne pouvant comprendre la situation réelle. Il avait compris que l’entrée en guerre des USA impliquait la mise en route d’une formidable industrie de chars et d’avions. L’Allemagne ne pourrait pas suivre ".

H de B

Heydrich aurait donc été assassiné par un commando téléguidé par les Anglais, pensez vous que ceux-ci avaient appris cette recherche de paix séparée et aient voulu y couper court ?

H. Knochen

" C’est possible et serait même logique. Je n’ai jamais compris pourquoi il se déplaçait seul, sans voiture d’escorte ".

H. de B

" Certains dignitaires nazis auraient-ils eu vent des conceptions d’Heydrich et ont-ils voulu, eux aussi, y mettre fin ? "

H. Knochen

Je n’ai pas de preuve ".

H. de B

" Il semble qu’il y ait eu une autre tentative en 1943 avec Schellenberg, chef du contre espionnage du RSHA qui est venu à Paris et aurait rencontré Mademoiselle Chanel qui était susceptible de contacter Churchill par l’intermédiaire de l’Espagne. " 

H. Knochen

Schellenberg était en effet mon homologue et nous avions le même âge. Il était proche d’Himmler. Très habile, il rêvait de devenir ministre de Affaires Etrangères. Je l’ai vu en effet à Paris en 1943 durant son séjour. Il m’a rendu visite, mais je n’ai pas connu les motifs réels de son déplacement. Il a du rencontrer beaucoup de monde. Par contre je doute fort qu’il ait commandité l’opération dont vous parlez.

En 1945, ce fut différent : il a probablement participé avec Himmler à une recherche de paix séparée avec le comte Bernadotte ".

H de B

" Que pensez vous d’Himmler et de Müller, le chef de la Gestapo ? " 

H. Knochen

De petits esprits qui obéissaient aveuglément sans comprendre. Oberg, mon chef, m’avait interdit tout contact avec Himmler dont il était le représentant en France. Il venait de Pologne et pensait appliquer la même politique que là bas. J’ai eu beaucoup de mal à lui faire comprendre que les situations n’étaient pas les mêmes ".

H de B

" Et Goering, quel portrait en feriez -vous ? " 

H. Knochen

" Intelligent, mais ne voulant pas savoir. Il est venu une fois à Paris et je lui ai expliqué ce que signifiait l’entrée en guerre de l’Amérique et son impressionnante industrie de guerre : il m’a écouté sans m’entendre ".

H. de B

" Parlons d’Hitler ? J. Ph Larrose qui a eu l’occasion d’écouter un de ses discours en 1932 m’a dit que son magnétisme subjuguait son auditoire et ses interlocuteurs. Et vous ? " 

H. Knochen

Moi aussi j’étais subjugué, je le reconnais. Personne ne résistait. On était envoûté. Aucun des hommes politiques que j’ai écoutés depuis cette époque lointaine n’a possédé de tels dons d’orateur.

H. de B

" Venons en aux dirigeants français : Pétain, Laval, Bousquet, Darnand ".

H. Knochen

Pétain était comme notre Hindenburg une figure historique respectée qui me recevait fort aimablement. Laval, le chef du gouvernement, était très intelligent, un fin politique qui croyait en la victoire de l’Allemagne. Il l’a cru jusqu’au bout ".

H de B

" Laval avait-il une compréhension stratégique de la guerre ? "

H. Knochen

" Non. Sa vision était d’ordre essentiellement politique et il voyait la guerre en politicien. Par contre Bousquet, lui, avait la stature d’un vrai homme politique. C’était l’avis d’Heydrich et c’était le mien. Heydrich voulait le revoir. Je rencontrais Bousquet régulièrement, il était habile et a joué un double jeu. Je le savais et l’ai longtemps accepté, car cela faisait partie de la logique de l’époque… ".

Par contre, son successeur Darnand très pro-allemand, était honnête et borné. Il avait même fait un serment SS à Hitler.

Mes relations avec le gouvernement de Vichy étaient constantes : je voyais régulièrement Laval, quelques fois deux fois par semaine. C’était mon métier ".

H de B

" Quand avez vous compris que la guerre était perdue pour l’Allemagne ? "

H. Knochen

Après Stalingrad ".

H. de B

" La guerre est d’abord l’affaire des généraux, que pensiez-vous d’eux ? " 

H. Knochen

Pour la plupart d’entre eux, la guerre était une sorte de jeu. Je conserve de l’estime pour seulement deux grands maréchaux : von Runstedt et von Manstein. Même Rommel n’était pas un bon stratège, à mon sens. Il était populaire auprès de la troupe, mais nous estimions tous qu’il n’avait pas de véritable pensée stratégique. Je me souviens aussi de Speidel dont je dépendais et qui servit ensuite à l’OTAN : il faisait alors partie de l’Etat Major de Stüpnagel à Paris et je lui rendais compte de mes activités. Il me dit un jour : " Il faut que j’aille en Russie quelques mois pour obtenir un avancement en décorations ". Et il l’a fait ! Six mois sur le front russe. C’était sa vision de la guerre et j’en étais stupéfait ".

H. de B

" En 1956, il commande les forces terrestres de l’OTAN, ce devait être un homme brillant ? "

H. Knochen

" C’est vrai, il était cultivé et il avait un titre de Docteur, ce que n’avaient pas les autres généraux ".

H de B

" Dès 1940, Abetz est nommé ambassadeur du Reich à Paris. Il semble qu’il ait reçu d’Hitler et de Ribbentrop les pleins pouvoirs concernant les rapports avec le gouvernement de Vichy. Que pensez vous de lui ? " 

H. Knochen

C’était un homme intelligent et très discret. Avec sa femme qui était française il maintenait surtout des relations avec une petite communauté française animée par Luchaire. J’avais avec lui des relations professionnelles correctes et étais frappé par le fait qu’il n’avait pas l’ostentation fréquente du milieu des Affaires Etrangères ".

H. de B

" Et la lutte contre la Résistance ? " 

H. Knochen

J’avais mission de sauvegarder la sécurité de l’armée allemande et je me considérais en guerre contre la Résistance, comme contre les armées alliées. Pour moi, les généraux français, avec les troupes en Afrique du Nord, qui avaient suivi de Gaulle continuaient la guerre avec l’aide de la Résistance en France, et nous devions la combattre. Encore une fois, ma mission principale était d’assurer la protection des troupes allemandes et il nous fallait réduire la Résistance.

H. de B

" La Gestapo était dirigée par Karl Boemelburg, un policier de métier âgé de 57 ans, parlant parfaitement le français. Dohse, son subordonné à Bordeaux, le présente comme une éminence grise redoutable. Est-ce votre sentiment ? "

H. Knochen

" Non, c’était un bon policier professionnel, mais sans réflexion politique. Je lui avais demandé des rapports sur la situation politique, mais il ne m’a jamais rien transmis. Concernant Dohse, c’était un homme intelligent. Je lui avais proposé de rejoindre mon Etat Major à Paris, mais il avait préféré rester à Bordeaux ".

H. de B

" Le 20 juillet 1944, ce fut l’attentat contre Hitler avec la tentative de putsch. A Paris le général Stülpnagel prit le pouvoir sans coup férir, que s’est-il passé ? "

H. Knochen

Je dînais en tenue civile avec un membre de l’ambassade allemande qui devait regagner Berlin, lorsqu’un coup de téléphone me demande de rejoindre d’urgence mon bureau. Je trouve mes collaborateurs rassemblés dans une pièce sous la garde de la Wehrmacht : un officier me demande de me rendre aussitôt à l’Hôtel Majestic, où siégeait l’Etat Major du général Stülpnagel. On m’y annonce à la fois l’attentat, le ralliement des SS au complot et l’arrestation du général Oberg. Personnellement je suis resté libre de mes mouvements".

" Je ne cache pas alors mon scepticisme, quant au ralliement des SS au complot et demande à téléphoner à Berlin. Bientôt nous apprenons que l’attentat a échoué et que Hitler est vivant. Oberg est libéré et explose de rage ".

" La suite est connue : Le général Stülpnagel tente de se suicider et j’évacue mes Services sur Vittel. Là, j’apprends à la fois qu’Oberg est promu au grade supérieur, alors que moi je suis rétrogradé au rang de simple soldat ! Oberg me refuse toute explication.

A Berlin, Kaltenbrunner, (chef du RSHA depuis novembre 1943), confirme la sanction à mon encontre et m’annonce que je suis envoyé en formation comme simple panzergrenadier en Bohême, un poste à haut risque. Je manque même d’être fusillé sur ordre d’Himmler, mais j’ai eu la chance de me déplacer quelques jours auprès de ma femme qui venait d’accoucher. Je suis resté deux mois en Bohême avant d’être rétabli dans mon grade. Kaltenbrunner m’avait en effet promis d’effacer ma condamnation dès qu’il le pourrait ".

H de B

" Il nous faut parler de la question juive ".

H. Knochen

Je me suis exprimé sur le sujet des dizaines de fois durant mon procès en France : je ne connaissais pas la finalité des déportations qui était initiées directement par Berlin avec l’aide de la section IV J de la Gestapo. J’ai pris le dimension du drame après la guerre et en ai été horrifié ".

H. de B

" Venons en maintenant à vos années de détention et à votre condamnation ".

H. Knochen

Des année dures. Cela a commencé par Nuremberg où je témoignais au procès. Ma cellule était en dessous de celle de Göring. Alors que j’étais en prison, je voyais arriver mon ancien collègue Schellenberg qui avait été nommé chef du contre espionnage du RSHA. Il était conduit par les Anglais, habillé comme un lord et logeait parait-il dans un appartement. Il n’a jamais été poursuivi. Quels services avait-il rendu ? Il s’est retiré en Italie et est mort dans les années 1950, on dit qu’il aurait été assassiné ".

H. de B

" Vous êtes ensuite transféré en France où vous êtes jugé et condamné ".

H. Knochen

" Le régime français était sévère : aucun journal et aucun livre durant des années. Par nécessité professionnelle, mon procès a été lié à celui de Oberg, alors que je voulais un procès séparé car mes apports avec lui étaient mauvais. En 1962, j’ai été libéré par le général de Gaulle ".

" Bousquet est venu témoigner à mon procès : il arrivait en avion, bronzé d’un déplacement effectué pour la Banque de l’Indochine et il avait été mon homologue durant la guerre ! "

H. de B

" A vous écouter, on a le sentiment que vous considérez avoir été très maltraité par rapport à vos homologues et à certains de vos supérieurs : le général Speidel à qui vous rendiez compte de vos missions est devenu commandant des forces terrestres de l’OTAN, Schellenberg n’est jamais passé en jugement, Abetz est libéré en 1951,(11 ans avant vous), Bousquet n’a reçu qu’une condamnation de principe… "

H. Knochen

C’est vrai ".

H. de Beaufort

" Avez vous entendu parler de l’affaire Papon. En France elle a fait beaucoup de bruit : il était sous préfet à Bordeaux pendant la guerre ".

H. Knochen

Oui, par les journaux. C’est aberrant. Le sous préfet était une fonction qui ne m’était pas connue. Quant au nom de Papon, il n’a jamais été évoqué devant moi ".

Nous avons donc retracé les éléments de plusieurs interviews qui sont étagées sur deux mois. Knochen parle fort bien le français, mais quand il s’exprimait en allemand, Jean Philippe Larrose traduisait ou précisait certains passages délicats.

Pour engager le débat, j’avais présenté à Knochen l’étude effectuée sur Albert Speer et ses théories, lors de la sortie de mon encyclopédie de géopolitique, en 1998. Rappelons que les conceptions stratégiques de Speer ayant été reprises et adoptées par l’OTAN depuis 50 ans, le sujet ne peut plus prêter à polémique, mais au contraire faciliter la réflexion historique.

Reste ensuite à tenter de savoir si l’image actuelle d’un Knochen, intellectuel modéré correspondait au portrait du chef du BdS des années 1940-1944, que l’étude de certains documents et que les évènements de 1944 semblaient dessiner. Là encore, la chance a souris : un certain Père Jacques Destelle avait été aumônier des prisons après la guerre et il avait alors connu Knochen. Le 27 juillet 2000, le prêtre retraçait ses rencontres avec Knochen en ces termes.

Le père Jacques Destelle

" C’était le seul catholique, (Knochen), parmi les douze condamnés allemands que je visitais, les autres étaient protestants, sauf Oberg qui était athée. Oberg avait une tête comme Eric von Stroheim, un tête de prussien. Knochen avait une femme et deux enfants qui venaient lui rendre visite chaque mois. Il a été condamné à mort et gracié par de Gaulle. Je me souviens que Knochen me récitait des fables de La Fontaine dans un français parfait. Comme il était affable et cultivé, il obtenait certainement ainsi, beaucoup de renseignements dans ses fonctions. C’était un homme distingué qui présentait un mélange de politique et de diplomate, mais qui fut, à mon sens, dominé par les hommes de la Gestapo. Par contre, Oberg, je n’ai jamais pu avoir de véritable conversation avec lui. Knochen m’a toujours donné l’impression de classe et de distinction, une sorte de Talleyrand. Je l’ai perçu comme sympathique et humain… Par rapport aux autres, il sortait de l’ordinaire ".

Se laisser aller à du sentiment sur le comportement de Knochen serait mal venu. Par contre on peut retenir certaines observations du Père Destelle qui sont intéressantes parce que objectives : sa connaissance du français, sa culture, son sens politique et diplomatique. Telles étaient en effet les missions prioritaires de Knochen vis à vis du gouvernement de Vichy : séduire et convaincre.

Le portrait d’Oberg est caricatural, mais correspond à la réalité : un mur. Quant à la Gestapo, lorsque le Père Destelle, juge qu’elle a dominé Knochen, nous ne sommes pas loin de la réalité.

Que pense de son côté, Larrose, son condisciple d’Université du Knochen d’aujourd’hui ?

Égal à lui-même à mon égard, depuis toujours. Dans le fond, c’était un humaniste ".

H de B.

" Si c’était le cas, comment a-t-il accepté les drames de la période 1940-1944 ? "

J. Ph. Larrose

Il était prisonnier d’un système. Je le trouve aussi européen qu’en 1932, lorsque nous étions ensemble à l’Université de Göttingen ".

H de B

" Mais encore une fois, ces années de guerre ont été terribles pour les Résistants et pour les Juifs. Est-ce qu’il pouvait tempérer, est-ce qu’il ne pouvait pas tempérer, est-ce que le système politique lui imposait la répression ? Ce système terrible, est ce qu’il le commandait ou est-ce qu’il le subissait ? "

J. Ph. Larrose

J’ai l’impression qu’il le subissait, car dans le fond, c’était un tendre ".

H de B

" Un " tendre " entre guillemets, malgré tout ".

J. Ph. Larrose

" Bien entendu. Mais j’ai été frappé par la révélation de Knochen concernant sa conversation avec Heydrich : selon lui, les Allemands ne pouvaient plus gagner la guerre, dés 1942, il fallait donc trouver une paix de compromis et Hitler représentait un obstacle.

Le Anglais l’ont su et ont fait assassiner Heydrich, parce qu’ils voulaient une victoire totale ? ".

H de B

" C’est bien cela. Mais revenons à votre rôle durant la guerre. En intervenant auprès de Knochen, vous avez obtenu un certain nombre de grâces. Avez vous le sentiment qu’il prenait cette décision de lui même ? " 

J. Ph. Larrose

" Oui, Il avait une certaine liberté de décision, mais informait le Tribunal Militaire qui donnait son accord ".

H. de B

" Il y a eu des milliers d’exécutions et de déportations, qui les décidait ? "

J. Ph Larrose

A mon sens, ce n’était pas Knochen, mais Kaltenbrunner et la Gestapo à Berlin. Il existait des hiérarchies très compartimentées dans le système nazi ".

H de B

" Cela est possible et même probable, si je m’en réfère à la directive de Boemelburg concernant le sort dévolu aux prisonniers expiatoires et aux déclarations d’Oberg lui-même. A lire certains documents, on a le sentiment que la fameuse section IV, dénommée à tort Gestapo, agissait et prenait ses initiatives, en informant la hiérarchie du BdS et Knochen, à posteriori ".


Encore une fois nos enquêtes ne cherchent pas à excuser, mais à comprendre et à rechercher une vérité occultée depuis la guerre. Un manichéisme réducteur ne fait pas avancer la connaissance historique. Knochen a été jugé et condamné après la guerre, Boemelburg et son chef Müller ont disparu en 1945. Cette " disparition " des deux têtes de la répression nazie, en Allemagne et en France, a focalisé les historiens sur les documents français de la Collaboration en oubliant l’essentiel : le fonctionnement des services allemands qui avait pris bien soin, eux, de brûler leurs archives. Des structures politiques, militaires et policières, qui loin d’être monolithiques, allaient de la résistance à l’adhésion inconditionnelle au Führer. Heydrich, certes, était un pilier du régime, mais c’était aussi une intelligence aiguë qui avait très bien pu analyser et percevoir l’impasse stratégique dans laquelle s’était fourvoyé le IIIème Reich, en déclarant la guerre simultanément à la Russie et aux USA : analyse d’autant plus plausible que le RSHA possédait son propre Service de Renseignement.

Officiellement, les Résistants tchèques venus de Londres voulaient mettre fin à l’oppression de leur " Protecteur ". On se doit bien de constater qu’en Juin 1942, les moyens logistiques de transport aérien des Anglais restaient bien faibles et la Tchécoslovaquie à la limite extrême de leurs possibilités techniques. L’opération devait donc être perçue par Churchill lui-même comme prioritaire, pour mettre fin à une tentative de paix séparée impliquant un coup d’Etat mené par le seul homme disposant de l’outil policier SS indispensable : Reinnhard Heydrich.

A l’analyse, la révélation de Knochen devient hautement crédible. Retenons aussi qu’en Juillet 1944, Knochen refusera d’adhérer au complot contre Hitler qu’il juge emprunt d’amateurisme, car il n’imagine pas que le régime puisse être renversé sans l’appui des SS.

Concernant les rapports Knochen Bousquet, on se demande qui était le chat et qui était la souris. Tous deux étaient en effet lucides : l’un jouait la force, mais sans illusion, l’autre jouait la montre, en sachant que le temps travaillait pour lui. La fin de la guerre était proche.

Photo prise durant l'interview d'Helmut Knochen

Photo prise par Hubert de Beaufort 
(pour agrandir, cliquez sur la réduction)  

     A gauche Helmut Knochen et à droite Jean Philippe Larrose.

    Le colonel Helmut Knochen fut le chef des polices allemandes en France durant les années 1942-1944, (le BdS) : à ce titre il supervisait la Gestapo et les services de renseignement. Ses bureaux étaient installés avenue Foch.

    La première interview de Knochen a été effectuée en juin 2000 à Francfort avec l'aide de Jean Philippe Larrose qui fut l'interprète de l'université de Bordeaux auprès de la Kommandantur durant la guerre et l'ami de Knochen durant son séjour à Göttingen en 1932.

    Cette interview a été suivie de plusieurs entretiens permettant de préciser certains points d'histoire d'un intérêt exceptionnel.

    Le témoignage d'Helmut Knochen ne fut pas sollicité à Bordeaux par la cour d'Assises.