Hubert de Beaufort         Le Livre Blanc      
                Une étude exhaustive de l'histoire de l'occupation de Bordeaux
Accueil 
Introduction   Chap.-1  Chap.-1 suite  Chap.-2    Chap.-3  Chap3-suite   Chap.-4  Chap.-5    Chap.- 6    Conclusion

© Hubert de Beaufort, Paris 2001

2- les contraintes croissantes de l’occupation : arrestations, déportations, exécutions

L’Histoire ne se réécrit pas. Certains ont refusé l’armistice et, dés le 18 juin 1940, ont entamé la Résistance à partir de Londres. Ce fut le choix de la famille de l’auteur qui a payé un lourd tribut à la guerre, puisqu’elle a perdu dans la lutte contre l’occupant, cinq de ses membres, mais avec déjà un constat : le survivant ayant combattu depuis Alger, ne risquait ni la déportation ni l’exécution, ces dangers permanents qui ont terrorisé la population durant quatre ans. Les jeunes générations savent-elles que la simple possession d’un fusil de chasse était passible du peloton d’exécution et qu’un tract ramassé entraînait la déportation?

D’autres ont jugé qu’il fallait faire confiance au Maréchal Pétain, puisque la communauté internationale reconnaissait le régime de Vichy, à commencer par les Américains, le président Roosevelt et l’URSS : le raisonnement tient jusqu’au 8 novembre 1942, date à laquelle les Allemands envahissent la zone libre et la Tunisie. Mais le gouvernement Pétain refuse alors de partir pour l’Afrique du Nord et laisse la flotte française se saborder à Toulon.

A partir de cette date, comme le dit l’historien Paxton :

"Vichy à perdu toute légitimité et toute capacité d’autonomie ".

Le constat étant admis par les fonctionnaires Résistants demeurant en place, il faut trouver un mode d’engagement efficace durant les dix huit mois précédant le débarquement. Des mois interminables, car pour le responsable qui veut lutter contre la barbarie nazie, ni l’analyse, ni l’engagement ne sont simples. Rappelons les faits :

1- Le général de Gaulle est marginalisé par les Américains entre novembre 1942 et novembre 1943, car ils lui préfèrent Giraud qui accepte de s’en tenir à un rôle purement militaire.

2- La Résistance noyautée et traquée par la police allemande est au bord du naufrage, à la fin 1943. Le livre de Daniel Cordier, sur Jean Moulin dresse un tableau édifiant de l’état des réseaux, six mois avant le débarquement. Ce fut seulement début 1944 que les FFI et les FTP constitueront des groupes armés significatifs, alors que simultanément le général de Gaulle conforte son autorité et que le CNR (Conseil national de la Résistance) est reconnu par les mouvements de Résistance.

3- La fonction publique, quant à elle, se trouve tiraillée entre deux directives contradictoires. Soit rester sur place et " tenir " comme lui demande le gouvernement d’Alger, qui craint la mise en place d’une administration de tutelle américaine, (l’AMGOT), soit rejoindre la Résistance populaire comme lui demande la mouvance communiste, désireuse d’initier une vaste insurrection ouvrière susceptible à la fois de chasser l’occupant et de mettre à bas les structures de la société bourgeoise… sans l’aide des Alliés.

Ces deux conceptions opposées se sont combattues à Bordeaux, à l’occasion du procès Papon. Deux Résistants témoignent : Henri Chassaing et Aimé Aubert. Le premier, militant communiste et ancien FTP, tente d’abord de convaincre dans la salle des témoins, que le Résistance intérieure aurait pu seule libérer la France, puis il tient le même langage devant le tribunal dans un " meeting " sans aucune relation avec le débat. Le second, Aimé Aubert, a fait parti du réseau " Alliance " animé par Marie Madeleine Fourcade et il a connu Michel Debré, Jacques Soustelle, Gaston Cusin, le RP Riquet, etc… Il termine sa déposition par cette phrase : 

" En leur nom, je me sens autorisé à saluer le Résistant Maurice Papon ".

Hurlements dans la salle. Ces manifestations partiales décrivent l’ambiance du procès et expliquent l’impossibilité pour Maurice Papon de faire comprendre la réalité de l’époque.

Certes, Henri Chassaing a été cité par les parties civiles et Aimé Aubert par la défense, mais le premier veut réécrire l’histoire et le second explique la réalité douloureuse de la guerre : cette réalité dont ni l’accusation ni les parties civiles, ne veulent entendre parler. Cinquante ans plus tard, certains lobbies veulent reconstituer une nouvelle deuxième guerre mondiale à leur convenance. Pourquoi ? Les fonctionnaires résistants ont dû travailler quatre ans sous la contrainte en zone occupée et deux ans en zone libre. Cette contrainte fut omniprésente à Bordeaux où sévissaient trois fois plus de troupes allemandes qu’ailleurs, trois fois plus de police, trois fois plus de SS.

Pour condamner Maurice Papon en Cour d’Assises, il fallait donc faire admettre aux jurés que cette contrainte n’existait pas, ce que fit l’avocat général Marc Robert, en se basant sur une instruction qui ignora la terreur pesant sur la population et sur les fonctionnaires de la Préfecture.

Revoyons l’argumentaire de l’accusation :

Qu’est ce que c’est : agir sous la contrainte ? C’est tout simplement avoir été forcé de faire ce que l’on fait. Et lorsqu’on est forcé de faire ce que l’on a fait, on n’est pas responsable…. Aucun tribunal ne peut punir un homme qui a été forcé, un pistolet chargé appuyé sur la tempe, d’ordonner l’arrestation ou la déportation de Juifs. Mais attention, la loi fixe une condition très stricte : il faut que la contrainte ait été irrésistible, c’est à dire que la personne se soit trouvée confrontée à un danger menaçant et effectif, et que cette pression soit telle qu’elle ait annihilé toute volonté, toute liberté, que l’on ait été privé de tout moyen de s’y soustraire. "

" Il y a une deuxième condition : c’est à celui qui invoque la contrainte d’en apporter la preuve, en l’espèce à Maurice Papon lui-même. Et nous en sommes loin ".

L’avocat général, Marc Robert, conteste ensuite les menaces allemandes dont fut l’objet Maurice Papon, ce qui est déjà faux, car Dohse, (le chef de la Gestapo bordelaise), convoque Papon à deux reprises pour le mettre en garde et lui faire savoir que les sentiments pro-gaullistes du Secrétaire général sont connus. Dohse n’ignore rien de ce qui se passe à la Préfecture, rien des tripatouillages du fichier juif. Si Papon n’est pas arrêté, c’est uniquement par ce que les Allemands veulent maintenir un minimum d’ordre dans la cité et éviter l’anarchie. Dohse fait la loi à Bordeaux : la préfecture se promène en permanence sur un fil rouge qui n’est pas encore rompu, pour la simple raison que le pistolet dont parle Marc Robert, n’est pas en effet braqué sur la tempe de Papon, mais sur celle des Bordelais.

L’avocat général insiste :

" S’il n’y a pas eu de menaces, s’il n’y a pas eu contraintes vis à vis des responsables préfectoraux de Bordeaux pour la mise en œuvre des déportations des Juifs, c’est tout simplement qu’il n’y en eut pas besoin, que ces responsables ont toujours fait ce qu’on leur demandait ".

La faiblesse du syllogisme de Marc Robert, c’est qu’il se satisfait de son affirmation en voulant gommer les drames extérieurs. La vraie contrainte qui pesait sur la Préfecture était à la fois permanente, terrible, mais diffuse. Marc Robert oublie que la Préfecture, comme la Mairie, étaient d’abord responsables de la vie et de la subsistance de leurs administrés : certes les déportations juives se sont révélées tragiques, mais un drame noyé dans une multitude d’autres drames, à commencer par les bombardements, les arrestations, les déportations politiques, les exécutions, le STO, le ravitaillement, etc.…

La contrainte, comment se présentait-elle pour la Préfecture ? Elle était symbolisée par le rapport de l’Intendant de police Duchon au préfet Sabatier, chaque matin à 11 heures 30. Combien d’arrestations durant la nuit, combien de cercueils à commander, combien de convois de déportés politiques et de déportés juifs, combien de trains pour le STO ? Combien de policiers arrêtés pour actions de Résistance… par des réseaux montés par la Gestapo elle même ?

Cette menace indirecte, masquée mais permanente, était-elle moins contraignante pour les dirigeants ?