2- les contraintes croissantes de l’occupation :
arrestations, déportations, exécutions
L’Histoire ne se réécrit pas. Certains ont refusé l’armistice
et, dés le 18 juin 1940, ont entamé la Résistance à partir de Londres. Ce
fut le choix de la famille de l’auteur qui a payé un lourd tribut à la
guerre, puisqu’elle a perdu dans la lutte contre l’occupant, cinq de ses
membres, mais avec déjà un constat : le survivant ayant combattu depuis
Alger, ne risquait ni la déportation ni l’exécution, ces dangers permanents
qui ont terrorisé la population durant quatre ans. Les jeunes générations
savent-elles que la simple possession d’un fusil de chasse était passible du
peloton d’exécution et qu’un tract ramassé entraînait la
déportation?
D’autres ont jugé qu’il fallait faire confiance au
Maréchal Pétain, puisque la communauté internationale reconnaissait le
régime de Vichy, à commencer par les Américains, le président Roosevelt et l’URSS :
le raisonnement tient jusqu’au 8 novembre 1942, date à laquelle les Allemands
envahissent la zone libre et la Tunisie. Mais le gouvernement Pétain refuse
alors de partir pour l’Afrique du Nord et laisse la flotte française se
saborder à Toulon.
A partir de cette date, comme le dit l’historien
Paxton :
"Vichy à perdu toute légitimité et toute capacité
d’autonomie ".
Le constat étant admis par les fonctionnaires Résistants
demeurant en place, il faut trouver un mode d’engagement efficace durant
les dix huit mois précédant le débarquement. Des mois interminables, car pour
le responsable qui veut lutter contre la barbarie nazie, ni l’analyse, ni l’engagement
ne sont simples. Rappelons les faits :
1- Le général de Gaulle est marginalisé par les
Américains entre novembre 1942 et novembre 1943, car ils lui préfèrent Giraud
qui accepte de s’en tenir à un rôle purement militaire.
2- La Résistance noyautée et traquée par la police
allemande est au bord du naufrage, à la fin 1943. Le livre de Daniel Cordier,
sur Jean Moulin dresse un tableau édifiant de l’état des réseaux, six mois
avant le débarquement. Ce fut seulement début 1944 que les FFI et les FTP
constitueront des groupes armés significatifs, alors que simultanément le
général de Gaulle conforte son autorité et que le CNR (Conseil
national de la Résistance) est
reconnu par les mouvements de Résistance.
3- La fonction publique, quant à elle, se trouve tiraillée
entre deux directives contradictoires. Soit rester sur place et
" tenir " comme lui demande le gouvernement d’Alger, qui
craint la mise en place d’une administration de tutelle américaine, (l’AMGOT),
soit rejoindre la Résistance populaire comme lui demande la mouvance
communiste, désireuse d’initier une vaste insurrection ouvrière susceptible
à la fois de chasser l’occupant et de mettre à bas les structures de la
société bourgeoise… sans l’aide des Alliés.
Ces deux conceptions opposées se sont combattues à
Bordeaux, à l’occasion du procès Papon. Deux Résistants témoignent : Henri
Chassaing et Aimé Aubert. Le premier, militant communiste et ancien FTP, tente
d’abord de convaincre dans la salle des témoins, que le Résistance
intérieure aurait pu seule libérer la France, puis il tient le même langage
devant le tribunal dans un " meeting " sans aucune relation
avec le débat. Le second, Aimé Aubert, a fait parti du réseau "
Alliance " animé par Marie Madeleine Fourcade et il a connu Michel
Debré, Jacques Soustelle, Gaston Cusin, le RP Riquet, etc… Il termine sa
déposition par cette phrase :
" En leur nom, je me sens autorisé à saluer le
Résistant Maurice Papon ".
Hurlements dans la salle. Ces manifestations partiales
décrivent l’ambiance du procès et expliquent l’impossibilité pour Maurice
Papon de faire comprendre la réalité de l’époque.
Certes, Henri Chassaing a été cité par les parties civiles
et Aimé Aubert par la défense, mais le premier veut réécrire l’histoire et
le second explique la réalité douloureuse de la guerre : cette réalité
dont ni l’accusation ni les parties civiles, ne veulent entendre parler.
Cinquante ans plus tard, certains lobbies veulent reconstituer une nouvelle
deuxième guerre mondiale à leur convenance. Pourquoi ? Les fonctionnaires
résistants ont dû travailler quatre ans sous la contrainte en zone occupée et
deux ans en zone libre. Cette contrainte fut omniprésente à Bordeaux où
sévissaient trois fois plus de troupes allemandes qu’ailleurs, trois fois
plus de police, trois fois plus de SS.
Pour condamner Maurice Papon en Cour d’Assises, il fallait
donc faire admettre aux jurés que cette contrainte n’existait pas, ce que fit
l’avocat général Marc Robert, en se basant sur une instruction qui ignora la
terreur pesant sur la population et sur les fonctionnaires de la Préfecture.
Revoyons l’argumentaire de l’accusation :
" Qu’est ce que c’est : agir sous la
contrainte ? C’est tout simplement avoir été forcé de faire ce que l’on
fait. Et lorsqu’on est forcé de faire ce que l’on a fait, on n’est pas
responsable…. Aucun tribunal ne peut punir un homme qui a été forcé, un
pistolet chargé appuyé sur la tempe, d’ordonner l’arrestation ou la
déportation de Juifs. Mais attention, la loi fixe une condition très
stricte : il faut que la contrainte ait été irrésistible, c’est à
dire que la personne se soit trouvée confrontée à un danger menaçant et
effectif, et que cette pression soit telle qu’elle ait annihilé toute
volonté, toute liberté, que l’on ait été privé de tout moyen de s’y
soustraire. "
" Il y a une deuxième condition : c’est à
celui qui invoque la contrainte d’en apporter la preuve, en l’espèce à
Maurice Papon lui-même. Et nous en sommes loin ".
L’avocat général, Marc Robert, conteste ensuite les
menaces allemandes dont fut l’objet Maurice Papon, ce qui est déjà faux, car
Dohse, (le chef de la Gestapo bordelaise), convoque Papon à deux reprises pour
le mettre en garde et lui faire savoir que les sentiments pro-gaullistes du
Secrétaire général sont connus. Dohse n’ignore rien de ce qui se passe à
la Préfecture, rien des tripatouillages du fichier juif. Si Papon n’est pas
arrêté, c’est uniquement par ce que les Allemands veulent maintenir un
minimum d’ordre dans la cité et éviter l’anarchie. Dohse fait la loi à
Bordeaux : la préfecture se promène en permanence sur un fil rouge qui n’est
pas encore rompu, pour la simple raison que le pistolet dont parle Marc Robert,
n’est pas en effet braqué sur la tempe de Papon, mais sur celle des
Bordelais.
L’avocat général insiste :
" S’il n’y a pas eu de menaces, s’il n’y a pas
eu contraintes vis à vis des responsables préfectoraux de Bordeaux pour la
mise en œuvre des déportations des Juifs, c’est tout simplement qu’il n’y
en eut pas besoin, que ces responsables ont toujours fait ce qu’on leur
demandait ".
La faiblesse du syllogisme de Marc Robert, c’est qu’il se
satisfait de son affirmation en voulant gommer les drames extérieurs. La vraie
contrainte qui pesait sur la Préfecture était à la fois permanente, terrible,
mais diffuse. Marc Robert oublie que la Préfecture, comme la Mairie, étaient d’abord
responsables de la vie et de la subsistance de leurs administrés : certes
les déportations juives se sont révélées tragiques, mais un drame noyé dans
une multitude d’autres drames, à commencer par les bombardements, les
arrestations, les déportations politiques, les exécutions, le STO, le
ravitaillement, etc.…
La contrainte, comment se présentait-elle pour la
Préfecture ? Elle était symbolisée par le rapport de l’Intendant de
police Duchon au préfet Sabatier, chaque matin à 11 heures 30. Combien d’arrestations
durant la nuit, combien de cercueils à commander, combien de convois de
déportés politiques et de déportés juifs, combien de trains pour le STO ?
Combien de policiers arrêtés pour actions de Résistance… par des réseaux
montés par la Gestapo elle même ?
Cette menace indirecte, masquée mais permanente, était-elle
moins contraignante pour les dirigeants ? |