CHAPITRE I (suite)
RAPPEL DES STRUCTURES ALLEMANDES À BORDEAUX
DHOSE, LE CHEF DE LA SECTION IV, (GESTAPO) du KdS :
SES ACTIVITES REGIONALES ET NATIONALES
Après avoir étudié les structures centrales allemandes de
commandement à Paris, il faut comprendre comment les forces allemandes
assuraient leur main mise dans une ville comme Bordeaux, à la fois capitale
régionale, base sous marine stratégique et ville de garnison.
Curieusement le procès a occulté à la fois la guerre et l’Occupation,
comme si la deuxième guerre mondiale s’était limitée à un problème
franco-français : aucun organigramme allemand n’a été présenté au
jury. Nous présentons pour la première fois les multiples services policiers
et de renseignement qui formaient une réseau dont les effectifs étaient
supérieurs à ceux de la préfecture.
L’occupation
à Bordeaux, zone interdite
La ville était
située en zone occupée avec une présence allemande massive que résumait
ainsi le préfet Sabatier : " trois fois plus de SS qu’ailleurs ".
Pourquoi ce cas particulier ?
- C’est une base sous-marine de première importance
chargée de contrôler l’Atlantique Sud et d’intercepter les convois venant
des Etats-Unis.
- C’est une ville de garnison.
Non seulement les forces allemandes des trois armes, (Air,
Terre, Mer), sont omniprésentes mais elles sont accompagnées de polices
multiples qui quadrillent la région. Cette présence policière explique les
nombreuses arrestations effectuées à la frontière et touchant tant les Juifs
que les Résistants voulant gagner l’Angleterre via l’Espagne.
En dehors des arrestations, déportations et exécutions qui
s’abattent sur les Bordelais, la Préfecture doit d’abord traiter la
priorité quotidienne du ravitaillement et faire face ensuite aux conséquences
de la guerre : les bombardements. Un seul raid de l’aviation alliée, en 1943,
entraînera la mort de 330 personnes : Maurice Papon profitera d’ailleurs
du trouble suscité par ce drame pour faire évacuer 19 enfants juifs.
La police allemande, les services d’espionnage
et de contre-espionnage
Le KDS de
Bordeaux, antenne régionale des services de police allemande, est organisé
selon la même structure que celle du BDS de Paris. Il comprend six services
dont la Gestapo avec la section IV J, chargée des question juives. Le KDS de
Bordeaux sera dirigé jusqu’en octobre 1943 par Hans Luther puis par Walter
Machule et la section IV B 4 (IV J à Bordeaux) sera animée par Doberschutz,
puis Graf, Borde, Meyer, Zeibig .
La section IV était structurée ainsi :
Directeur de la section IV (Gestapo) : Friedrich Dohse.
- Sous-section A, (terrorisme et communistes) :
secrétaire criminel Röding.
- Sous-section B, (résistance gaulliste, maquis,
parachutages) : secrétaire criminel Kunesch.
- Sous–section C, ( groupement, rassemblement des détenus,
transferts à Compiègne) : secrétaire criminel Kudell.
- Sous-section D, (émigration, passages clandestins vers l’Espagne) :
secrétaire criminel Hermannsdorfer.
- Sous-section E, (contre-espionnage et lutte contre les
agents parachutés) : secrétaire criminel Schoeder.
- Sous-section IV J, (affaires juives) : (voir
ci-dessus).
- Sous section IV N, (renseignement) : Friedrich Dohse
avec Madame Sommer. En fait, Dohse est le véritable chef d’orchestre du KdS
et de la section IV.
Friedrich Dohse
: ses activités régionales et nationales (1)
Né le 2 Juillet 1914 à Elmshorn, marié trois enfants, F.
Dohse est membre des SS depuis le 1er janvier 1936. Il est nommé le 13 Juin
1941 à Paris à l’Etat Major de Boemelburg. Dohse sera très apprécié de
Knochen, et de Hagen, (chef de cabinet d’Oberg), qui soutiendront constamment
ses activités à Bordeaux.
Muté à Bordeaux en Janvier 1942 pour créer la section IV
(Gestapo), Dohse restera en fonction jusqu’au 24 août 1944, (quelques jours
avant l’évacuation de la ville par les troupes allemandes) et partira avec un
convoi comportant des tonnes d’archives... qui inquiètent encore Bordeaux
aujourd’hui. Ses " résultats" et son influence sur les
responsables allemands sont tels, que Knochen (l’adjoint du général Oberg),
viendra le décorer à deux reprises à Bordeaux, de la croix de fer de 2ème
classe puis de la croix de fer de 1ère classe.
Durant les six premiers mois de 1942, il avait travaillé
avec le SS Herbert Hagen envoyé à Bordeaux en Juin 1940 avec un Sonderkommando.
Rappelons qu’Hagen, antisémite et anti-français déterminé, avait d’abord
travaillé avec Eichmann à Berlin au sein du RSHA. C’est lui qui proposa le
port de l’étoile jaune et établira le premier fichier des Juifs de Gironde.
En juin 1942, il sera appelé à Paris auprès d’Oberg et soutiendra toujours
son Dohse dans ses actions. Après la guerre, Hagen se mettra au service des
Français et ne sera donc pas inquiété.
Après son stage à Paris au siège de la police SS et de la
Gestapo, Dohse est muté à Bordeaux le 25 janvier 1942 et devient responsable
de la section IV du KDS (100 personnes environ). Son service comprenait une
douzaine d’agents allemands, une centaine de sous-agents français
rétribués. Dohse disposait en outre d’un commando de 25 mercenaires
dénommé "Hauskapelle", des Français, farouches
collaborateurs, qui opéraient soit en civil soit en uniforme SS, pour effectuer
les missions de basse police dont les Allemands ne voulaient pas se charger eux
mêmes.
Dohse s’était aussi assuré la collaboration de la SAP,
(brigade d’inspecteurs chargés des affaires politiques), dirigée par le
tristement célèbre Pierre Poinsot, auquel la Gestapo attribuait de sommes
variant de 25 000 à 50 000 francs. Dohse parle de Poinsot et de ses policiers
en ces
termes : "Le nombre des arrestations effectuées par
Poinsot est très important et en définitive plus élevé que celui effectué
par nos services. Poinsot nous présentait une liste sur laquelle figurait le
nom de ses inspecteurs collaborant et en face duquel figurait une somme donnée
en raison de l’activité de chacun. Je peux vous citer : Evrard, Celerier,
Langlade, Tournadour, Delbos et Chiron à la Rochelle, moins brutal que Poinsot,
et qui nous livra 184 résistants...".
(déposition de Dohse, le
28 juillet 1948).
Outre les services du KdS, la Gironde compte sept autres
services d’espionnage et de contre-espionnage : ils travaillent en
relation avec un Dohse qui bénéficie de toute la confiance des Etat-Major
bordelais et parisien.
1- Le centre de renseignement de l’Abwehr, (Nebenstelle) :
elle comprenait une centaine de personnes et était dirigé par l’Allemand
Gartner et par le Français Dehan : le chef de la SEC, (Service des
Questions juives), chargée du contrôle du fichier des Juifs, était donc lui
aussi un agent payé par les services allemands !
2- La police militaire de campagne, (Geheime Feld Polizei ou
GFP) : elle disposait de son
côté de deux sections :
- Le groupe 14 qui fusionna avec le KdS, lors de sa création
en 1942 .
- Le groupe 644 dépendant de l’Etat-Major de l’Armée
qui comportait 65 agents et employait lui aussi des Français.
3- La Feldgendarmerie : elle
possédait en propre trois
sections de renseignement et d’intervention dont nous ignorons les effectifs.
4- Les douanes : elles
disposaient d’un service de 70
personnes, (le Kommando Koch à Bayonne), spécialisé dans la recherche des
Résistants et des personnes tentant de se rendre en Espagne.
Ce commando Koch a dû avoir une efficacité redoutable, car
il arrêta des milliers de personnes qui cherchaient à rejoindre Alger, via l’Espagne.
5- La police maritime et côtière : elle
était chargée de la surveillance
du port de Bordeaux et des côtes de l’Atlantique. Elle possédait elle aussi
son propre réseau de renseignement.
6- Le service des devises (Devisen Schutz Kommando) : il
travaillait avec des agents
français, dépendaient du Ministère des Finances allemand et fut supprimé en
1943.
7- La police chargée de la surveillance de la police
française (Ordnungspolizei) : elle
travaillait en relation étroite
avec Dohse. Les inspecteurs de l’Ordnungspolizei opéraient en uniforme.
A Bordeaux, la police allemande, les services de
renseignement et de contre-espionnage s’élevaient à 500 personnes dont 300
à 400 agents français infiltrés dans les rouages de l’administration et de
la Résistance. Il faut bien saisir à quel point Dohse, de façon directe et
indirecte, coordonnait les services français et allemands:
- Les diverses polices allemandes travaillaient en liaison
avec la Gestapo;
- La SAP de Poinsot, (police politique), et la SEC de Dehan,
( police anti-juive), étant rétribuées soit par la Gestapo soit par l’Abwehr,
se trouvaient en fait sous la dépendance de Dohse.
Seuls le formalisme administratif de Sabatier et la
compétence de Papon ont permis à la préfecture de freiner l’emprise
complète des Allemands sur l’administration : le dernier rempart d’une
présence française ne disposant que de sa force d’inertie.
Dohse admet en effet qu’il a subi deux échecs.
1- Un échec avec Roger Landes et son réseau de résistance
anglais du SOE, qu’il n’arrive pas à découvrir :
"Livrez- moi Aristide (Roger Landes) et vous recevrez
une énorme somme, je ne suis jamais arrivé à pouvoir procéder à son
arrestation, déclare-t-il à un de ses informateurs.
2- Un échec avec Maurice Papon :
"Je l’ai connu. Ce fonctionnaire qui entretenait de
bons rapports avec nous était cependant suffisamment habile pour ne pas se
compromettre". (Déposition
de Dhose).
Dans la bouche de Dohse, ce n’était pas seulement un aveu
d’impuissance, mais un compliment. Maurice Papon et Roger Landes sont en effet
les seuls personnages de ce drame bordelais à échapper au rouleau compresseur
allemand. Dans un tel contexte on comprend mieux la signification de la lettre
écrite après la guerre par Roger Landes à Papon :
"Certaines personnalités arrivées après la
bataille se sont attribué sans aucun scrupule votre travail fait entièrement
dans la clandestinité et mis au point à la Libération sans l’assistance de
l’Intelligence Service".
(Lettre de R. Landes à M. Papon, déjà citée).
Ecrit par
un responsable des services anglais, non mêlé aux luttes intestines
françaises, ce témoignage vaut tous les certificats de Résistance.
Poinsot et la
SAP,
ayant fait exécuter plusieurs centaines de Résistants (FTP, communistes,
gaullistes) et s’étant assuré le concours des inspecteurs des
Renseignements, on peut imaginer l’ambiance de la préfecture après les
dramatiques évènements de septembre 1942 ayant abouti à l’exécution des 70
otages : prélude aux centaines de déportations et de fusillades qui ont
jalonné les les années d’occupation.
(1) En mai 1953, Luther et Dohse passeront en jugement devant
le tribunal militaire de Bordeaux. L’accusation du colonel Gardon retient les
chefs d’accusation suivants :
- contre Luther, la responsabilité des déportations
raciales et le choix des otages fusillés le 21 septembre 1942 ;
- contre Dohse, les déportations de résistants ainsi que
toutes les actions entreprise par ses services.
Luther sera condamné à cinq ans de prison et Dohse à sept
ans de travaux forcés. Tous deux seront libérés le lendemain… Luther, l’exécutant
officiel des déportations juives aura donc été condamné à cinq ans de
prison, alors que Maurice Papon qui n’a jamais rien initié a été condamné
à 10 ans de réclusion. Quant à Dohse, responsable de plusieurs centaines d’exécutions
et de déportations, il s’en est tiré avec sept ans.
© Hubert de Beaufort, Paris 2001
|