Hubert de Beaufort         Le Livre Blanc      
                Une étude exhaustive de l'histoire de l'occupation de Bordeaux
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© Hubert de Beaufort, Paris 2001

CHAPITRE I (suite)

RAPPEL DES STRUCTURES ALLEMANDES À BORDEAUX

DHOSE, LE CHEF DE LA SECTION IV, (GESTAPO) du KdS :
SES ACTIVITES REGIONALES ET NATIONALES

 

    Après avoir étudié les structures centrales allemandes de commandement à Paris, il faut comprendre comment les forces allemandes assuraient leur main mise dans une ville comme Bordeaux, à la fois capitale régionale, base sous marine stratégique et ville de garnison.

    Curieusement le procès a occulté à la fois la guerre et l’Occupation, comme si la deuxième guerre mondiale s’était limitée à un problème franco-français : aucun organigramme allemand n’a été présenté au jury. Nous présentons pour la première fois les multiples services policiers et de renseignement qui formaient une réseau dont les effectifs étaient supérieurs à ceux de la préfecture.

L’occupation à Bordeaux, zone interdite

    La ville était située en zone occupée avec une présence allemande massive que résumait ainsi le préfet Sabatier : " trois fois plus de SS qu’ailleurs ". Pourquoi ce cas particulier ?

- C’est une base sous-marine de première importance chargée de contrôler l’Atlantique Sud et d’intercepter les convois venant des Etats-Unis.

- C’est une ville de garnison.

    Non seulement les forces allemandes des trois armes, (Air, Terre, Mer), sont omniprésentes mais elles sont accompagnées de polices multiples qui quadrillent la région. Cette présence policière explique les nombreuses arrestations effectuées à la frontière et touchant tant les Juifs que les Résistants voulant gagner l’Angleterre via l’Espagne.

    En dehors des arrestations, déportations et exécutions qui s’abattent sur les Bordelais, la Préfecture doit d’abord traiter la priorité quotidienne du ravitaillement et faire face ensuite aux conséquences de la guerre : les bombardements. Un seul raid de l’aviation alliée, en 1943, entraînera la mort de 330 personnes : Maurice Papon profitera d’ailleurs du trouble suscité par ce drame pour faire évacuer 19 enfants juifs.

La police allemande, les services d’espionnage et de contre-espionnage

    Le KDS de Bordeaux, antenne régionale des services de police allemande, est organisé selon la même structure que celle du BDS de Paris. Il comprend six services dont la Gestapo avec la section IV J, chargée des question juives. Le KDS de Bordeaux sera dirigé jusqu’en octobre 1943 par Hans Luther puis par Walter Machule et la section IV B 4 (IV J à Bordeaux) sera animée par Doberschutz, puis Graf, Borde, Meyer, Zeibig .

    La section IV était structurée ainsi :

Directeur de la section IV (Gestapo) : Friedrich Dohse.

- Sous-section A, (terrorisme et communistes) : secrétaire criminel Röding.

- Sous-section B, (résistance gaulliste, maquis, parachutages) : secrétaire criminel Kunesch.

- Sous–section C, ( groupement, rassemblement des détenus, transferts à Compiègne) : secrétaire criminel Kudell.

- Sous-section D, (émigration, passages clandestins vers l’Espagne) : secrétaire criminel Hermannsdorfer.

- Sous-section E, (contre-espionnage et lutte contre les agents parachutés) : secrétaire criminel Schoeder.

- Sous-section IV J, (affaires juives) : (voir ci-dessus).

- Sous section IV N, (renseignement) : Friedrich Dohse avec Madame Sommer. En fait, Dohse est le véritable chef d’orchestre du KdS et de la section IV.


        Friedrich Dohse : ses activités régionales et nationales (1)

Né le 2 Juillet 1914 à Elmshorn, marié trois enfants, F. Dohse est membre des SS depuis le 1er janvier 1936. Il est nommé le 13 Juin 1941 à Paris à l’Etat Major de Boemelburg. Dohse sera très apprécié de Knochen, et de Hagen, (chef de cabinet d’Oberg), qui soutiendront constamment ses activités à Bordeaux.

Muté à Bordeaux en Janvier 1942 pour créer la section IV (Gestapo), Dohse restera en fonction jusqu’au 24 août 1944, (quelques jours avant l’évacuation de la ville par les troupes allemandes) et partira avec un convoi comportant des tonnes d’archives... qui inquiètent encore Bordeaux aujourd’hui. Ses " résultats" et son influence sur les responsables allemands sont tels, que Knochen (l’adjoint du général Oberg), viendra le décorer à deux reprises à Bordeaux, de la croix de fer de 2ème classe puis de la croix de fer de 1ère classe.

Durant les six premiers mois de 1942, il avait travaillé avec le SS Herbert Hagen envoyé à Bordeaux en Juin 1940 avec un Sonderkommando. Rappelons qu’Hagen, antisémite et anti-français déterminé, avait d’abord travaillé avec Eichmann à Berlin au sein du RSHA. C’est lui qui proposa le port de l’étoile jaune et établira le premier fichier des Juifs de Gironde. En juin 1942, il sera appelé à Paris auprès d’Oberg et soutiendra toujours son Dohse dans ses actions. Après la guerre, Hagen se mettra au service des Français et ne sera donc pas inquiété.

Après son stage à Paris au siège de la police SS et de la Gestapo, Dohse est muté à Bordeaux le 25 janvier 1942 et devient responsable de la section IV du KDS (100 personnes environ). Son service comprenait une douzaine d’agents allemands, une centaine de sous-agents français rétribués. Dohse disposait en outre d’un commando de 25 mercenaires dénommé "Hauskapelle", des Français, farouches collaborateurs, qui opéraient soit en civil soit en uniforme SS, pour effectuer les missions de basse police dont les Allemands ne voulaient pas se charger eux mêmes.

Dohse s’était aussi assuré la collaboration de la SAP, (brigade d’inspecteurs chargés des affaires politiques), dirigée par le tristement célèbre Pierre Poinsot, auquel la Gestapo attribuait de sommes variant de 25 000 à 50 000 francs. Dohse parle de Poinsot et de ses policiers en ces

termes : "Le nombre des arrestations effectuées par Poinsot est très important et en définitive plus élevé que celui effectué par nos services. Poinsot nous présentait une liste sur laquelle figurait le nom de ses inspecteurs collaborant et en face duquel figurait une somme donnée en raison de l’activité de chacun. Je peux vous citer : Evrard, Celerier, Langlade, Tournadour, Delbos et Chiron à la Rochelle, moins brutal que Poinsot, et qui nous livra 184 résistants...". (déposition de Dohse, le 28 juillet 1948).

Outre les services du KdS, la Gironde compte sept autres services d’espionnage et de contre-espionnage : ils travaillent en relation avec un Dohse qui bénéficie de toute la confiance des Etat-Major bordelais et parisien.

1- Le centre de renseignement de l’Abwehr, (Nebenstelle) : elle comprenait une centaine de personnes et était dirigé par l’Allemand Gartner et par le Français Dehan : le chef de la SEC, (Service des Questions juives), chargée du contrôle du fichier des Juifs, était donc lui aussi un agent payé par les services allemands !

2- La police militaire de campagne, (Geheime Feld Polizei ou GFP) : elle disposait de son côté de deux sections :

- Le groupe 14 qui fusionna avec le KdS, lors de sa création en 1942 .

- Le groupe 644 dépendant de l’Etat-Major de l’Armée qui comportait 65 agents et employait lui aussi des Français.

3- La Feldgendarmerie : elle possédait en propre trois sections de renseignement et d’intervention dont nous ignorons les effectifs.

4- Les douanes : elles disposaient d’un service de 70 personnes, (le Kommando Koch à Bayonne), spécialisé dans la recherche des Résistants et des personnes tentant de se rendre en Espagne.

Ce commando Koch a dû avoir une efficacité redoutable, car il arrêta des milliers de personnes qui cherchaient à rejoindre Alger, via l’Espagne.

5- La police maritime et côtière : elle était chargée de la surveillance du port de Bordeaux et des côtes de l’Atlantique. Elle possédait elle aussi son propre réseau de renseignement.

6- Le service des devises (Devisen Schutz Kommando) : il travaillait avec des agents français, dépendaient du Ministère des Finances allemand et fut supprimé en 1943.

7- La police chargée de la surveillance de la police française (Ordnungspolizei) : elle travaillait en relation étroite avec Dohse. Les inspecteurs de l’Ordnungspolizei opéraient en uniforme.

    A Bordeaux, la police allemande, les services de renseignement et de contre-espionnage s’élevaient à 500 personnes dont 300 à 400 agents français infiltrés dans les rouages de l’administration et de la Résistance. Il faut bien saisir à quel point Dohse, de façon directe et indirecte, coordonnait les services français et allemands:

- Les diverses polices allemandes travaillaient en liaison avec la Gestapo;

- La SAP de Poinsot, (police politique), et la SEC de Dehan, ( police anti-juive), étant rétribuées soit par la Gestapo soit par l’Abwehr, se trouvaient en fait sous la dépendance de Dohse.

    Seuls le formalisme administratif de Sabatier et la compétence de Papon ont permis à la préfecture de freiner l’emprise complète des Allemands sur l’administration : le dernier rempart d’une présence française ne disposant que de sa force d’inertie.

    Dohse admet en effet qu’il a subi deux échecs.

1- Un échec avec Roger Landes et son réseau de résistance anglais du SOE, qu’il n’arrive pas à découvrir :

"Livrez- moi Aristide (Roger Landes) et vous recevrez une énorme somme, je ne suis jamais arrivé à pouvoir procéder à son arrestation, déclare-t-il à un de ses informateurs.

2- Un échec avec Maurice Papon :

"Je l’ai connu. Ce fonctionnaire qui entretenait de bons rapports avec nous était cependant suffisamment habile pour ne pas se compromettre". (Déposition de Dhose).

    Dans la bouche de Dohse, ce n’était pas seulement un aveu d’impuissance, mais un compliment. Maurice Papon et Roger Landes sont en effet les seuls personnages de ce drame bordelais à échapper au rouleau compresseur allemand. Dans un tel contexte on comprend mieux la signification de la lettre écrite après la guerre par Roger Landes à Papon :

    "Certaines personnalités arrivées après la bataille se sont attribué sans aucun scrupule votre travail fait entièrement dans la clandestinité et mis au point à la Libération sans l’assistance de l’Intelligence Service". (Lettre de R. Landes à M. Papon, déjà citée).

Ecrit par un responsable des services anglais, non mêlé aux luttes intestines françaises, ce témoignage vaut tous les certificats de Résistance.

    Poinsot et la SAP, ayant fait exécuter plusieurs centaines de Résistants (FTP, communistes, gaullistes) et s’étant assuré le concours des inspecteurs des Renseignements, on peut imaginer l’ambiance de la préfecture après les dramatiques évènements de septembre 1942 ayant abouti à l’exécution des 70 otages : prélude aux centaines de déportations et de fusillades qui ont jalonné les les années d’occupation.

(1) En mai 1953, Luther et Dohse passeront en jugement devant le tribunal militaire de Bordeaux. L’accusation du colonel Gardon retient les chefs d’accusation suivants :

- contre Luther, la responsabilité des déportations raciales et le choix des otages fusillés le 21 septembre 1942 ;

- contre Dohse, les déportations de résistants ainsi que toutes les actions entreprise par ses services.

Luther sera condamné à cinq ans de prison et Dohse à sept ans de travaux forcés. Tous deux seront libérés le lendemain… Luther, l’exécutant officiel des déportations juives aura donc été condamné à cinq ans de prison, alors que Maurice Papon qui n’a jamais rien initié a été condamné à 10 ans de réclusion. Quant à Dohse, responsable de plusieurs centaines d’exécutions et de déportations, il s’en est tiré avec sept ans.

© Hubert de Beaufort, Paris 2001