Hubert de Beaufort         Le Livre Blanc      
                Une étude exhaustive de l'histoire de l'occupation de Bordeaux
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© Hubert de Beaufort, Paris 2001

3- la puissance cachée de Karl Boemelburg, chef de la section IV,(Gestapo).

Nous présentons un document exceptionnel, traduit pour la première fois : une note d’Août1942, qui démontre, si besoin en était encore, la terreur dans laquelle vivait la France et son administration. Rappelons qu’à partir de Mai 1942, les polices françaises se trouvent mises " de facto " sous la coupe de la police allemande et des responsables SS, après la nomination du général Oberg.

Dans cette note qui définit quatre catégories de prisonniers, Boemelburg chef de la section IV, (Gestapo), se dévoile comme le maître d’œuvre de l’action policière en France.

L’emploi d’un langage codé, sous forme de jargon technique, pour n’être compris que par les initiés, rendait la traduction du document difficile. Ce travail a été demandé à Jean Philippe Larrose, professeur d’allemand à l’Université de Bordeaux pendant la guerre et interprète auprès de la Kommandantur à la même période.

Nous ne sommes qu’en Août 1942 et déjà apparaît une terrible dénomination de " prisonniers expiatoires ". Cette fois-ci il ne s’agit pas des Juifs, mais d’une catégorie de prisonniers, (définie par la Gestapo), qui seront fusillés ou au mieux déportés. Prisonniers expiatoires, mesure expiatoire, ordonnance nuit et brouillard : un arsenal de terreur mis en place dès l’été 1942 et qui autorise l’arrestation et l’exécution de toute personne considérée comme suspecte ou dangereuse pour l’ordre nazi.

Bien entendu, les otages figurent parmi les " prisonniers expiatoires ". C’est donc bien la police allemande, (Gestapo), qui désigne les victimes des pelotons d’exécution : ce sera le cas en septembre 1942, lorsque Boemelburg et Dohse décideront ensemble des modalités de la sanction qui frappera des Bordelais jugés rétifs à la politique allemande.

En Août 1942, le mythe de la collaboration est oublié et il fait place à la contrainte institutionnalisée des SS.

La Gestapo en 1941, Karl Boemelburg au centre sans ceinturon.
(Cliquez sur la réduction)

gestapo-sit.jpg (27107 octets)

Unique photo de Boemelburg connue en France. © Hubert de Beaufort    (en fin du document : Note du webmaster)

DÉPORTATION DES OTAGES ET SORT DES PRISONNIERS EXPIATOIRES

Note de service adressée par Karl Boemelburg le 30/8/1942
à l’attention du BdS section II/4

(Nous présentons d’abord la traduction française, puis l’original allemand en annexe).

 La Gestapo définit donc quatre catégories de prisonniers, dont l’une nous semble encore aujourd’hui particulièrement révoltante : " les prisonniers expiatoires ", voués à la mort, selon des critères qui ne font référence à aucune décision de justice.

La " solution finale " n’était pas la seule à posséder son vocabulaire spécifique : les opposants au régime nazi, comme les Résistants, avaient droit eux aussi à un langage codé et à un régime d’exception.

Manifestement, les otages et les Résistants appartenaient à la catégorie des " prisonniers expiatoires ".

 

L IV (Gestapo)                                                                                                      Paris le 30 août 1942

     Note à l’attention de la section II/4, (BdS)

Objet : extension du champ de compétence concernant le camp de sécurité de Romainville
Référence
 : votre lettre du 20 août 1942, II/4

 Cette note concerne les conditions de détention et de libération des différentes catégories de prisonniers : les prisonniers de sécurité, les prisonniers expiatoires, les prisonniers en attente d’enquête, au fort de Romainville, ainsi que les prisonniers détenus par la police à Compiègne, (hommes), et à Romainville, (femmes). La section IV, (gestapo), demande que dans la mesure où les prisonniers ont leur domicile et séjournent dans le grand Paris, la Seine, la Seine et Marne, la Seine et Oise, ils soient traités à l’avenir de la façon suivante :

- Les prisonniers de sécurité

Si la section IV, (gestapo), tient pour indispensable la suspension de la détention sécuritaire, elle doit présenter une demande à la section II/4. Après avoir ordonné la détention sécuritaire et pris toutes dispositions pour transférer la personne au fort de Romainville, la section IV effectue le transfert. La libération d’une détention sécuritaire n’est obtenue par la section II/4 qu’après avoir pris l’avis du rapporteur de la section IV qui a demandé cette détention sécuritaire.

- La détention policière

Si la section IV estime indispensable une décision de police concernant un individu, il faut présenter une demande à la section II/4. La section II/4 ordonne la détention policière, arrête les instructions, et s’occupe de transférer les détenus hommes à Compiègne et les détenues femmes à Romainville. En ce qui concerne la libération des détenus, les dispositions concernant les détentions sécuritaires demeurent valables.

- Les prisonniers expiatoires

La désignation des prisonniers expiatoires est faite par la section IV, (gestapo), qui décide également de leur installation et de leur transfert à Romainville.

Le commandant du camp de Romainville et la section II/3 reçoivent une copie de la décision de transfert, dans laquelle il est expressément question des prisonniers expiatoires.

Pour parler clairement, on qualifie de " prisonniers expiatoires " les hommes qui sont désignés pour uns exécution, suite à une " mesure expiatoire ".

En ce qui concerne les parents des coupables en fuite, qui ont été arrêtés, (ordonnance du chef suprême des SS et de la police, en date du 10 juillet 1942), dont l’exécution n’est pas envisagée, il est demandé une détention policière ou une détention dans une prison de l’armée, jusqu’à ce que soient précisées d’autres dispositions.

Après le transfert d’un prisonnier expiatoire à Romainville , la section II/3 dispose de sa liberté d’action. La section II/3 est priée de faire part à la section IV, (gestapo), de la liquidation du prisonnier expiatoire se trouvant à Romainville et qu’elle lui avait livré.

D’autre part, la section II/3 est priée de ne jamais remettre en liberté un prisonnier expiatoire livré par la section IV, mais de rendre compte à la section IV qui a conduit le prisonnier à Romainville, si elle renonce à la personne en question.

Comme les prisonniers expiatoires appartiennent en général aux cercles d’individus qui tombent sous l’ordonnance, " Nuit et brouillard ", il s’en suit qu’en renonçant à (exécuter) ces prisonniers expiatoires, ceux-ci seront transférés dans un camp de concentration se trouvant en Allemagne.

La section IV tiendra compte, dans le transfert des prisonniers expiatoires se trouvant à Romainville, que 200 personnes au maximum peuvent y séjourner.

- Prisonniers en instance d’instruction judiciaire

A Romainville, on ne peut loger au maximum que 250 détenus. La détention et la libération de cette catégorie est uniquement de la compétence de la section IV. Pour chaque mesure de détention, il faut remettre au commandant du camp une ordonnance d’instruction. Dans cette ordonnance d’instruction, il faut utiliser le terme " Prisonnier en instance d’instruction judiciaire ".

Ci joint pour la section II/3, (du BdS), une copie du présent document.

Boemelburg, (chef de la section IV, Gestapo)

SS Sturmbahnführer

Certifié : Bittner

 Les indicatifs entre parenthèses sont des précisions apportées par le traducteur

 Annuaire téléphonique de la Gestapo (cliquez sur la réduction)
(ABTEILUNG IV EST L’ABRÉVIATION CODÉE DE LA GESTAPO)

 

        Quelques remarques sur cet annuaire :

- L’Etat Major de la Gestapo en France occupe trois immeubles avenue Foch :  les numéros 78, 82 et 84.

- Karl Boemelburg est le chef de la Section IV, (Gestapo), pour la France. Il porte le grade de SS Sturmbannführer, (commandant).

- Son premier adjoint est le Sturmbannführer Kieffer, et l’un de ses collaborateurs directs est l’Hauptsturmführer Aloïs Brunner chargé des questions juives et du camp de Drancy.

Röthke, correspondant d’Eichmann qui fut responsable de l’arrestation de Raoul Lambert, le directeur général de l’UGIF en août 1943, figure en neuvième position sur l’annuaire.

- Stindt succèdera à Boemelburg, à la tête de la Gestapo, fin 1943.

Notes du webmaster

    1 - Une amie m'a dit : "Cette photo me soulève le cœur". Nous ne la montrons pas par provocation. Henri Landemer, dans un article paru dans la revue Historia en 1972, la présentait déjà et réussissait à identifier 37 des officiers et sous-officiers présents sur cette photo. Serge Klarsfeld présentait un article dans la même revue. Malgré cela personne n'a parlé de l'organisation de la gestapo et ni de celle des déportations de juifs au cours du procès de Maurice Papon.

    2 - Boemelburg logeait dans un hôtel particulier à Neuilly, qui était situé à l'angle du boulevard Bineau et de la rue de Rouvray, et il y avait organisé une petite prison pour prisonniers de marque qu'il pensait pouvoir convaincre de collaborer.  Les affaires concernées étaient suivies directement par Himmler sans passer par Knochen. Il hébergea ainsi le Président Albert Lebrun, le Colonel de La Rocque, Léopold Trepper, chef de l'Orchestre Rouge, et, très peu de temps, Jean Moulin qui avait été si torturé qu'il ne pouvait plus être utilisé. Le but de ces affaires, en 1943, était de tenter d'obtenir des contacts avec des Alliés pour essayer de les dissocier. Le Colonel de La Rocque fut expédié en Allemagne, Jean Moulin périt pendant son transport, et Léopold Trepper réussit à s'échapper. Ainsi Boemelburg connut de nombreux échecs et fut mis sur la touche en novembre 1943. Il devint alors le garde chiourme du Maréchal Pétain.