3- Les dirigeants anglo-saxons
Le scepticisme anglais sur la réalité du génocide a des
racines lointaines : durant la première guerre mondiale, les abus de la
propagande britannique avaient semé un vent de panique qui perdura. Les
religieuses violées, les enfants auxquels on avait coupé les mains n’ont
jamais été retrouvés et les historiens se sont alors élevés contre ces
manipulations. La tendance au scepticisme ne s’effaça que très lentement,
aussi bien dans le public que dans les sphères officielles.
Une seule exception, la presse juive américaine, Nation et
New Republic, qui tentent d’analyser à fond le problème, alors que l’ensemble
des médias restent très discrets, à commencer par les publications
catholiques et protestantes. Les responsable avertis ne cachèrent pas le sort
dévolu aux Juifs, mais ne s’en ouvrirent pas auprès du grand public.
Rappelons que la première information sérieuse sur le
génocide est parvenue en Août 1942 à Gerhart Riegner, représentant du
Congrès juif mondial à Genève, qui en fait part à Howard Elting, vice-consul
américain. Cette information s’appuie sur une rapport du quartier général d’Hitler
prévoyant l’extermination de 3 à 4 millions de Juifs, provenant d’Europe
de l’Ouest et d’Europe de l’Est.
Le 11 Août, Elting ébranlé par l’assurance de
Riegner,
télégraphie la nouvelle au Département d’Etat, qui la juge non
crédible : " une rumeur de temps de guerre inspirée par la
peur ". Pour les fonctionnaires américains, les Juifs déportés
servaient de main d’œuvre.
La question se pose alors de savoir si l’on transmet l’information
au Rabbin Wise. La réponse est : non. Malgré tout Wise sera prévenu par
une autre voie le 28 août 1942. Il avertit aussitôt le sous-secrétaire d’Etat
Summer Welles pour que Roosevelt soit informé. Welles reste sceptique et
déclare à Wise en septembre :
" Il semble que le véritable objectif du
gouvernement nazi est de se servir des Juifs pour les travaux liés à l’effort
de guerre aussi bien en Allemagne qu’en Pologne et en Russie ".
L’opposition du Congrès à toute nouvelle immigration,
Juifs compris, paralyse certes Roosevelt dans ses velléités d’intervention,
mais il faut malheureusement rappeler que certaines de ses réflexions laissent
pour le moins perplexes. Durant la conférence de Casablanca, il suggère de ne
maintenir en Afrique du Nord qu’un nombre de Juifs, (membres des professions
libérales), proportionnel à celui de la population juive de la région !
" Cela évitera les griefs assez compréhensibles
qu’avaient les Allemands contre les Juifs en Allemagne, à savoir que tandis
qu’ils représentaient une petite partie de la population, plus de 50 % des
avocats, docteurs, professeurs, etc… étaient Juifs ".
Voilà où en est la perception du problème juif par le
président Roosevelt en Janvier 1943 ! Il excuse les griefs des Allemands
envers les Juifs, six mois après les grandes déportations de 1942, ce qui
démontre au moins qu’il n’a toujours pas à cette époque connaissance de
la solution finale. Evitons d’entrer dans un procès d’intention que nous
déplorons chez l’accusation et chez les parties civiles, mais il est patent
que, durant les rafles de1942, les dirigeants occidentaux sont restés
aveugles : pour eux, les déportations ne sont encore qu’une forme de
travail obligatoire, une sorte de STO durcie
Et du côté des Anglais, trouve t-on davantage de
lucidité et de compréhension ?
La " contre enquête " a relaté les
réactions du Foreign Office durant la guerre. Rappelons l’essentiel des
faits.
- Eté 1942 : Gerstein, un expert allemand en gaz
asphyxiants, dévoile les mécanismes de la solution finale à un diplomate
suédois, von Otter, qui transmet l’information à Stockholm. Elle n’est pas
prise en considération.
- 27 Mars 1943 : demande de l’American Jewish Congress
visant à demander à Hitler d’autoriser les Juifs à quitter l’Europe
occidentale. Réponse négative d’Eden.
- Juillet 1943 : échange possible de 5 000 enfants
juifs contre 5 000 prisonniers allemands.
Eden refuse.
- Juillet 1943 : échange demandé par Antonescu de 60
000 juifs roumains contre finance.
Roosevelt accepte, Eden refuse.
- Avril 1944 : l’aviation alliée découvre Auschwitz,
les organisations juives demandent le bombardement des chambres à gaz. Eden
refuse :
" Cette décision va constituer une déception,
mais il ne faut rien faire qui ressemblât à une négociation ".
- Avril 1944 : Eichmann propose à Joël Brand d’échanger
1 000 000 de Juifs contre 10 000 camions et de fermer Auschwitz. Eden refuse.
- 2 Avril 1944 : le Times annonce, en page 12, que 350
000 juifs allaient être tués dans les trois semaines à venir… mais la
première page est consacrée aux départs en vacance des New-Yorkais.
Inutile de multiplier les exemples : ceux que nous
citons se révèlent suffisamment explicites. Quand on se donne la peine d’étudier
le degré de connaissance des déportations juives, par les responsables
occidentaux, et leur refus permanent de la moindre action concrète, on reste
pour le moins perplexe. Dans ces conditions, que pouvait savoir et entreprendre
l’administration, sinon une résistance discrète ? Et que pouvait faire un
petit Etat comme la Suisse à qui l’on reproche une complicité
matérielle ? En vérité, il faut reconnaître chez les Alliés un
aveuglement devant les déportations raciales et une absence de réaction à
peine croyable. Ils étaient partiellement informés, mais ne comprenaient pas.
En réalité ils ne s’intéressaient qu’à un seul objectif : assurer
la victoire, gagner la guerre, mais sans jamais mettre en avant la question
juive.